Contre la propagande djihadiste en ligne, le gouvernement se tourne vers le secteur privé
Contre la propagande djihadiste en ligne, le gouvernement se tourne vers le secteur privé
Par Martin Untersinger, Morgane Tual
Pour mieux faire circuler le « contre-discours », le gouvernement fait appel aux grandes entreprises du Web dans son plan d’action contre la radicalisation et le terrorisme.
Le premier ministre, Manuel Valls, et le ministre de l’intérieur, Bernard Cazeneuve, le 9 mai à Matignon. | PHILIPPE WOJAZER / REUTERS
Le premier ministre, Manuel Valls, a annoncé lundi 9 mai une série de mesures visant à lutter contre la radicalisation et le terrorisme. Parmi les 80 points développés, la question de la propagande djihadiste en ligne occupe une place conséquente.
Développer le contre-discours
« Les rencontres virtuelles et la propagande dématérialisée deviennent des facteurs déclencheurs ou accélérateurs des processus de radicalisation », écrit le gouvernement dans les documents envoyés sur le sujet à la presse. Il s’agit, pour le gouvernement, d’une « priorité afin de desserrer l’emprise idéologique que la propagande radicalisée violente exerce ».
L’Etat entend donc développer des contre-discours, une forme de contre-propagande, pour répondre aux efforts menés en ligne par les réseaux djihadistes. Le gouvernement se tourne largement vers le secteur privé, et pour cause : il reconnaît que le contre-discours émis par des sources officielles ne fonctionne pas.
« La prégnance du discours conspirationniste ou millénariste dans la propagande djihadiste et le risque de rupture sociale constaté parmi les personnes en voie de radicalisation rendent les messages officiels peu opérants. Le recours à l’initiative privée et aux acteurs indépendants de la société civile est donc indispensable. »
Initiatives individuelles et associatives sont donc bienvenues et le gouvernement annonce qu’il soutiendra, « le cas échéant financièrement », des initiatives préexistantes, afin de « donner toute leur place aux discours existants dans la société, qui contribuent à remettre en cause la propagande djihadiste, à en isoler les mécanismes et à en réfuter le contenu ».
Impliquer davantage les géants du Web
Le gouvernement français et les grandes entreprises du Web cherchent un terrain d’entente depuis les attentats qui ont frappé la France en janvier 2015. Peu de temps après, Manuel Valls avait montré du doigt les réseaux sociaux, « plus que jamais utilisés pour l’embrigadement, la mise en contact et l’acquisition de techniques permettant de passer à l’acte ».
Bernard Cazeneuve avait lui aussi fermement critiqué ces entreprises, avant de se rendre aux Etats-Unis pour rencontrer les vice-présidents de Google, Facebook et Twitter, afin de les « responsabiliser ». De leur côté, les principaux groupes du secteur affirment coopérer activement avec les autorités françaises sur les dossiers liés au terrorisme, et participer à des points réguliers avec le ministère de l’intérieur.
Dans son dossier publié lundi 9 mai, le gouvernement reconnaît que des progrès ont été faits par les grands acteurs du Web, tout particulièrement les réseaux sociaux, dans la lutte contre la propagande djihadiste. Cela a permis « d’accroître l’efficacité de la lutte contre l’accessibilité des contenus radicalisés », selon le texte.
Le gouvernement veut continuer dans cette voie et « associer les acteurs de l’Internet » – comprendre les principaux réseaux sociaux comme Facebook ou Twitter – « à l’élaboration [de ce] contre-discours » afin que soient développés « des outils numériques » permettant « d’identifier les propagandes naissantes sur les réseaux sociaux, leurs vecteurs de diffusion, les principaux nœuds de propagation, et la méthode la plus efficace pour faire porter un contre-discours ».
Pour ce faire, le gouvernement veut développer « une coopération entre ceux qui portent l’expertise technique », notamment développeurs et experts marketing, « et ceux qui produisent et portent le contre-discours ». Une fondation, dont l’annonce a été faite il y a quelque temps par Manuel Valls mais qui semblait jusqu’à présent dans les limbes, sera chargée, à partir du second semestre 2016, d’entretenir cette coopération.
Lutter contre « l’enfermement algorithmique »
Manuel Valls lors de la présentation du plan d’action contre la radicalisation et le terrorisme. | PHILIPPE WOJAZER / REUTERS
Au-delà de la simple lutte contre les contenus djihadistes, le gouvernement se tourne aussi vers Facebook, sans le citer, pour « lutter contre l’enfermement algorithmique ». Le fonctionnement technique de ces plateformes, qui fournissent des contenus personnalisés aux internautes en fonction de leurs goûts et de leur activité en ligne a, selon ce document, « l’effet imprévu d’enfermer l’utilisateur dans des contenus systématiquement orientés dans le même sens ».
Le gouvernement enjoint donc à ces entreprises de « prendre en compte d’autres facteurs » dans leurs mécanismes de recommandation, « comme par exemple les signalements et éventuels retraits passés de signalement similaires ». Et ce afin de casser le cercle de la recommandation djihadiste. Il va même plus loin, évoquant « la recommandation de contre-discours dans l’offre de contenus », ce qui signifierait l’injection artificielle de recommandations.
Le gouvernement assure, dans le document publié le 9 mai, avoir commencé à échanger avec ces acteurs sur cette question. Mais on ne sait pas aujourd’hui où en sont ces discussions, sur un sujet on ne peut plus sensible : les grands acteurs du Web ont toujours refusé de modifier leurs algorithmes à la demande d’un Etat pour valoriser ou censurer du contenu.
Des « cyberpatrouilles » françaises contre la propagande djihadiste
Dans son plan d’action contre la radicalisation et le terrorisme présenté lundi 9 mai, le gouvernement annonce sa volonté de mener de « véritables campagnes offensives contre la propagande » terroriste en ligne.
Notant que « les réseaux terroristes ont recours à de nombreuses sociétés de production et de diffusion médiatiques », en référence notamment à Dabiq et à Dar Al-Islam, les deux principales publications de l’organisation Etat islamique, le gouvernement prône « l’infiltration de leurs réseaux de propagande » et la mise en place de « cyberpatrouilles destinées à détecter, répertorier et entraver les sites ou réseaux-clés de la propagande des filières terroristes ».
Mieux, le gouvernement prône de véritables cyberattaques, dont l’existence est très rarement reconnue par les autorités, et notamment la « destruction » de sites djihadistes présents sur le « dark Web », cette zone d’Internet non référencée par les moteurs de recherche, dont les djihadistes sont pourtant quasi absents.