Les catastrophes naturelles provoquent deux fois plus de déplacements internes que les conflits
Les catastrophes naturelles provoquent deux fois plus de déplacements internes que les conflits
Par Laetitia Van Eeckhout
Publié le 11 mai, le rapport annuel de l’IDMC vient rappeler que les dérèglements climatiques, les dégradations de l’environnement sont bel et bien devenus un des principaux facteurs de migrations des personnes dans le monde.
En avril, un berger de la région de Sitti, dans l’Est de l’Ethiopie, ne peux que compter ses animaux morts en raison de la sécheresse. | VINCENT DEFAIT / AFP
Tempêtes, inondations, séismes, irruptions volcanique, feux de forêts, glissements de terrain… En 2015, les catastrophes naturelles survenues dans 113 pays ont provoqué le déplacement de 19,2 millions de personnes dans le monde, à l’intérieur de leur propre pays. C’est deux fois plus que le nombre d’individus chassés par les conflits, guerres, violences (8,6 millions).
Publié le 11 mai, le rapport annuel de l’Internal Displacement Monitoring Center (IDMC) vient rappeler que les dérèglements climatiques, les dégradations de l’environnement sont bel et bien devenus un des principaux facteurs de migrations des personnes dans le monde. Au cours des huit dernières années, 203,4 millions de déplacements ont été enregistrés à la suite d’événements climatiques ou géophysiques. Le phénomène touche essentiellement les pays en voie de développement.
En 2015, comme les années précédentes, l’Asie a une nouvelle fois été le continent le plus touché, avec 16,3 millions de déplacés, soit plus de 85 % du total mondial. En Inde, les pluies torrentielles qui se sont abattues en juillet sur cinq provinces au Nord du pays, puis en novembre sur celles de Tamil Nadu et de Andhra Pradesh, ont conduit quelque 3 millions de personnes à abandonner leur maison et leur village. Au Népal, les séismes qui ont frappé le pays en avril et en mai 2015 ont poussé sur les routes 2,6 millions d’individus, en plus des 9 000 morts ou disparus. En Chine, ce sont encore 2,2 millions de personnes qui ont été chassées de leurs terres par les puissants typhons Chan-Hom, Soudelor, et Dujuan qui ont balayé tour à tour en juillet en août et en septembre le sud-est du pays.
Déplacements à répétition
« Ce sont toujours les mêmes régions qui sont touchées. Or le caractère répétitif des déplacements est un facteur de fragilisation des ménages et de déstabilisation des pays », s’alarme Alexandra Bilal, directrice de l’IDMC, qui rappelle que les Philippines, les années précédentes, figuraient toujours parmi le « trio de tête » avec l’Inde et la Chine. Mais en 2015, le Népal a pris sa place.
Si les tremblements de terre qui ont frappé le Népal, détruisant un tiers de son PIB, sont venus rappeler les risques que représentent les phénomènes géophysiques, les déplacements liés aux catastrophes naturelles sont, dans leur grande majorité, provoqués par des aléas climatiques, des tempêtes et des inondations surtout.
« A ces déplacements dus à des catastrophes naturelles, s’ajoutent les mouvements que suscitent les dérèglements environnementaux qui s’inscrivent dans le temps, comme la dégradation des sols, la sécheresse prolongée, relève Alexandra Bilal. Ces mouvements, difficiles à évaluer, ne sont pas pris en compte dans nos données. Mais ils sont importants. » Ne serait-ce qu’en Ethiopie, entre août 2015 et février 2016, la sécheresse engendrée par le phénomène El Nino a contraint plus de 280 000 personnes, affectées par le manque d’eau menaçant leur bétail et les cultures, à quitter leurs terres, selon l’Organisation internationale pour les migrations (OIM).
Ces migrations provoquées par la lente dégradation de l’environnement sont difficiles à identifier car elles sont le produit d’une conjonction de facteurs, environnementaux mais aussi économiques, sociaux et politiques. Si les catastrophes comme les inondations ou les tremblements de terres créent une menace physique directe imposant un déplacement immédiat, la dégradation des terres, les sécheresses prolongées érodent peu à peu les moyens de subsistances des ménages, jusqu’à les conduire à fuir leurs terres en dernier recours.
Stratégie de survie
« Ces déplacements remettent en cause la ligne de partage traditionnelle entre migrations forcées et migrations volontaires. Mais quand il ne reste plus rien, les personnes n’ont plus d’autre choix que de partir pour tenter de trouver les moyens de subvenir à leurs besoins ailleurs. La migration devient alors une stratégie de survie », insiste Alexandra Bilal, qui appelle à la mise en place d’une protection adéquate de ces personnes.
« Les migrations environnementales doivent être reconnues sous leurs deux aspects : celui du déplacement forcé et celui de la migration “volontaire” comme solution pour s’adapter aux effets du changement climatiques », appuie François Gemenne, chercheur spécialiste des migrations environnementales et coauteur, avec Dina Ionesco et Daria Mokhnacheva, de l’OIM d’un Atlas des migrations environnementales (Presse de Sciences Po) paru en mars, expliquant ces liens complexes entre migration, environnement et changement climatique.
« Si l’essentiel des migrations environnementales restent internes, confinées au pays dans lequel elles se produisent, ces mouvements, croissants, vont amener à terme à une redistribution de la population à l’échelle de la planète, insiste François Gemenne. Cette réalité appelle une coopération régionale et internationale renforcée, favorisant des mécanismes d’entraide et un partage du flux des déplacés. »