Eric Bailly, d’une banlieue d’Abidjan au « théâtre des rêves » de Manchester United
Eric Bailly, d’une banlieue d’Abidjan au « théâtre des rêves » de Manchester United
Par Alexis Adélé (contributeur Le Monde Afrique, à Abidjan)
Recruté par José Mourinho à Manchester United, Eric Bailly devient le premier joueur ivoirien à porter le maillot des Red Devils.
Eric Bailly, en juin 2015. | © Thierry Gouegnon / Reuters / REUTERS
Le 1er juin, Eric Bailly a quitté précipitamment le regroupement des Eléphants de Côte d’Ivoire à Abidjan pour se rendre en Espagne. Selon certains de ses proches, une signature du joueur de Villareal, âgé de 22 ans, était imminente chez les Anglais de Manchester City, où évoluent ses partenaires en sélection, Yaya Touré et Wilfried Bony. Mais outre-Manche, le natif de Bingerville (sud de la Côte d’Ivoire) a finalement opté le 8 juin, pour le voisin et rival Manchester United. La durée de son contrat est de quatre ans et le montant du transfert estimé à 40 millions d’euros.
A plus de 6 000 km, cet événement historique pour le football ivoirien, précisément dans les rues inondées et les caniveaux bouchés de Koumassi-Sicogi (sud d’Abidjan), la signature du joueur a redonné de l’espoir aux jeunes de ce quartier, peuplé de 3 000 habitants. Ici, chaque jour est une lutte perpétuelle pour la survie. Il faut souvent jouer les éboueurs ou encore gérer une cabine téléphonique pour gagner au moins 300 francs CFA (près de 50 centimes) afin de s’offrir un plat de garba (semoule de manioc accompagnée du poisson thon) à midi. Il y a neuf ans encore, Erico (surnom d’Eric Bailly) était l’un des leurs.
« Il a grouillé »
« On est fier de notre ami. Franchement il a grouillé [s’est battu], en croyant en son destin », se réjouit Arsène, coiffeur, résident. Sur le parking du quartier, transformé en terrain de jeu et baptisé « stade Beto du 21 juin », amis et connaissances du défenseur se retrouvent pour se remémorer le temps passé avec Eric Bailly sur le bitume. Tous évoquent un homme calme, réservé et respectueux sur le terrain et en dehors.
« Sa trajectoire est particulière. Mais il faut admettre qu’il le doit à sa volonté de réussir et surtout à son talent inné. Il est techniquement doué et reste toujours humble. Tout cela permettait d’imaginer qu’un jour ou l’autre son étoile allait briller », raconte Edgar dit « Gaga », ami d’enfance et ancien partenaire de jeu d’Erico.
En effet, issu d’une famille modeste (le père est à la retraite et la mère enseignante) et en difficulté financière, Eric Bailly a mis volontairement fin à ses études en classe de seconde, en 2007. Pour subvenir à ses propres besoins, il s’est fait confier la gestion d’une cabine téléphonique, tout en gardant un peu de temps pour le football.
« L’argent du patron »
« Lorsqu’un tournoi de foot est organisé, il n’hésitait pas à rejoindre une équipe pour y participer. Erico utilisait l’argent de la cabine pour payer son droit de participation et son transport. Et quand son équipe l’emportait, il remboursait l’argent du patron. Ce dernier est aujourd’hui son homme de confiance à Abidjan », révèle « Esco », gérant du parking de Koumassi-Sicogi,
Un matin de 2009, Erico tente de se faire recruter au centre de formation d’Abia Star du Port-Bouet, une autre banlieue abidjanaise, où le quotidien est quasi-identique à celle de Koumassi-Sicogi, mais où une infrastructure sportive de meilleure qualité existe. Deux semaines après son arrivée, un test est organisé pour la participation du centre à un tournoi à Ouagadougou (Burkina Faso). Au grand regret des anciens pensionnaires, le milieu de terrain Eric Bailly est retenu (il a été repositionné défenseur en Espagne).
« C’est au Burkina Faso qu’il s’est fait remarquer par un agent de joueurs, se souvient Edgar. Ce dernier était certain de l’ascension de Bailly et a choisi de l’emmener pour l’aventure. Il y a eu l’Espanyol de Barcelone puis Villareal. Sinon, Erico n’a jamais évolué dans un club au pays, ni disputé le championnat national avant de s’envoler pour l’Espagne. »
Deux ans de loyer
Selon lui, Eric Bailly avait rejoint l’Espanyol de Barcelone après la signature d’un contrat de 25 millions francs CFA (38 000 euros). A la demande du joueur, sur cette somme payée aux dirigeants du centre Abia Star, 5 millions de francs CFA (7 600 euros) devraient revenir à sa famille, de quoi assurer deux années de loyer.
« Hélas, cet argent n’est jamais arrivé… Cela a provoqué un clash entre Erico et les responsables du centre. Au point que l’Espanyol Barcelone est considéré aujourd’hui, comme son centre formateur, souligne Edgar. Le club espagnol bénéficie ainsi de l’indemnité de formation versée aux clubs formateurs. »
Supervisé en club pendant seulement trois matches, Eric Bailly a été ensuite retenu avec la Côte d’Ivoire par l’ancien sélectionneur des Eléphants, Hervé Renard. Eric Bailly deviendra champion d’Afrique avec la sélection ivoirienne en 2015 en Guinée Equatoriale. Passé de l’Espanyol à Villareal, il n’aura évolué qu’une saison chez les sous-marins jaune avant de signer à Manchester United et de fouler bientôt la pelouse d’Old Trafford, surnommé « le théâtre des rêves ».
« C’est un rêve qui se réalise. Jouer au football au plus haut niveau, c’est ce que j’ai toujours voulu faire », a confié Eric Bailly à la presse britannique, juste après sa signature. « On s’inspirera de cette grande foi qu’il avait toujours en lui pour trouver notre bonheur. Il faut bien un jour que nous sortions aussi de la galère », espère Arsène, lui aussi rêveur.