Et le studio Ghibli vola au secours des naufragés de l’île de « La Tortue rouge »
Et le studio Ghibli vola au secours des naufragés de l’île de « La Tortue rouge »
Par Noémie Luciani
Splendide robinsonnade sans paroles, le premier long-métrage de Michael Dudok de Wit (Un certain regard) est une coproduction franco-japonaise.
Présent chaque année au Festival de Cannes, mais souvent discrètement, le cinéma d’animation y est cette année plus visible, et plus remarqué. La programmation de l’Association du cinéma indépendant pour sa diffusion (ACID) s’est ouverte avec La Jeune Fille sans mains, de Sébastien Laudenbach. Ma vie de courgette, de Claude Barras, trône à la Quinzaine des réalisateurs. La sélection Un certain regard présentait mercredi 18 mai La Tortue rouge, de Michael Dudok de Wit, une robinsonnade sans paroles d’une beauté visuelle et musicale à couper le souffle, suivant un naufragé échoué sur une île.
C’est le premier long-métrage du réalisateur néerlandais, oscarisé en 2001 pour les neuf minutes de Père et fille. Il a 62 ans. Auparavant, raconte-t-il, il n’avait jamais eu l’envie de tenter le format long : outre sa « bougeotte » créative, qui le poussait à varier sans cesse les projets, l’exemple de collègues et amis lancés – laborieusement – dans l’aventure, leurs récits de financements impossibles et de producteurs intrusifs l’avaient convaincu de s’en tenir au court – ce qu’il faisait avec bonheur.
Ce n’est ni aux Pays-Bas ni en France, où La Tortue rouge est produit par Why Not et Wild Bunch, ni en Angleterre, où il travaille et vit le plus souvent, qu’est né le projet d’un voyage au long cours, mais au Japon – et pour ainsi dire malgré lui. De passage dans un festival coréen, Isao Takahata, cofondateur du célèbre studio Ghibli avec Hayao Miyazaki et réalisateur du Tombeau des lucioles, découvre le travail de Michael Dudok de Wit et tombe sous le charme. Au point de se mettre en tête, en entraînant tout le studio, de coproduire un long-métrage, si l’envie lui prenait d’en réaliser un. Michael Dudok de Wit n’hésite pas longtemps : Ghibli insiste pour que le film soit entièrement fait en France, parce que la loi y est plus favorable aux auteurs, et en lui laissant une absolue liberté dans le processus créatif. Cerise sur le gâteau : le Néerlandais est fou du travail de Ghibli.
Rien de « trop riche »
Qu’avait-il de si singulier pour que l’un des plus prestigieux studios d’animation vienne le chercher à l’autre bout du monde ? Pour quiconque a vu ses courts-métrages, Le Moine et le Poisson, L’Arôme du thé ou Père et fille, les affinités sont au fond assez évidentes. C’est en puisant dans les arts de l’Asie que le cinéaste a trouvé sa patte : les films d’Akira Kurosawa, les estampes d’Hokusai et d’Hiroshige, l’art des moines bouddhistes du XVIIIe siècle comme Sengai, capable de faire jaillir la vie en deux traits à l’encre. La philosophie zen, également. Michael Dudok de Wit a gardé de ces maîtres un amour du trait souvent travaillé au pinceau, avec un minimalisme expressif : encres noires sur fonds clairs, décors réduits à quelques éléments emblématiques. Pas un mot, seulement la musique dans le rôle du conteur.
Pour La Tortue rouge, le réalisateur a repensé son style en mêlant crayons numériques et animation par ordinateur, avec des décors faits à la main sur du papier dont le grain confère aux paysages une densité étonnante. Par contraste, le corps humain apparaît gracile et gracieux dans sa quête de survie silencieuse. Tenir sur la durée nécessitait, selon le réalisateur, d’imaginer plus de détails que les quelques traits et jeux d’ombres qui suffisaient, dans ses courts-métrages, à faire tout un monde.
Fidèle à son approche zen, il ne voulait pas pour autant renoncer à la simplicité. Aux artistes chargés d’élaborer les décors, il explique ne rien vouloir de « trop riche ». La forêt de bambous fait à l’île de La Tortue rouge un manteau luxuriant mais uni, sous lequel on ne croisera qu’une ou deux espèces animales. Cela, « en réaction sans doute, explique Michael Dudok de Wit, à certains films américains dans lesquels on trouve toutes les couleurs de l’arc-en-ciel dans chaque plan. Ce qui peut être très beau aussi, mais je voulais pour mon film qu’on sente la nature plus qu’on ne la voie, à travers des éléments simples : la mer bleue, le ciel bleu, le vert des arbres, un temps gris. Je ne voulais pas montrer l’homme face à la nature mais l’homme dans la nature : dans cette simplicité, ils sont toujours ensemble. Ils s’appartiennent. »
LA TORTUE ROUGE - Bande-annonce - Un film de Michael Dudok de Wit
Durée : 01:45
Film d’animation franco-japonais de Michael Dudok de Wit (1 h 20). Sur le Web : latortuerouge-lefilm.com