La Russie s’apprête à prolonger l’embargo alimentaire jusqu’à la fin de 2017
La Russie s’apprête à prolonger l’embargo alimentaire jusqu’à la fin de 2017
LE MONDE ECONOMIE
Ce train de sanctions était une réplique aux mesures prises par l’Union européenne à l’encontre de Moscou après l’annexion de la Crimée et le conflit dans l’est de l’Ukraine.
Le président russe, Vladimir Poutine, en visite officielle en Grèce, le 26 mai 2016. Alexis Tsipras, le premier ministre grec, s’est déclaré favorable à la levée des sanctions qui frappent la Russie depuis le conflit ukrainien. | LOUISA GOULIAMAKI / AFP
Sans attendre la décision d’une hypothétique levée des sanctions européennes appliquées à la Russie depuis 2014, le gouvernement russe s’apprête à prolonger l’embargo alimentaire décrété en représailles contre les pays occidentaux. Le premier ministre Dmitri Medvedev l’a annoncé vendredi 27 mai : « J’ai donné l’ordre de préparer des propositions en vue d’une prolongation des mesures de contre-sanctions non pour un an, mais jusqu’à la fin de 2017 », a-t-il déclaré à l’issue d’une réunion avec des industriels russes. Cet allongement asymétrique permettrait aux producteurs russes de bénéficier « d’un horizon plus large pour planifier leurs investissements, comme ils l’ont à maintes reprises réclamé ».
Visée par des sanctions internationales adoptées en réaction à l’annexion de la Crimée et au conflit dans l’est de l’Ukraine, la Russie avait riposté dès le mois d’août 2014 en imposant un embargo sur les fruits, les légumes, les produits laitiers, la viande, le poisson et la volaille en provenance des États-Unis, d’Europe, d’Australie, du Canada et de Norvège. Cette situation a entraîné une chute spectaculaire des importations alimentaires russes depuis ces pays : évalué à 9 milliards de dollars en 2013, leur montant a été ramené à 143,2 millions de dollars en 2015, selon une étude publiée en avril par le Centre analytique rattaché au gouvernement. Bien loin des 90 milliards d’euros de pertes estimées pour l’Europe par M. Medvedev en décembre 2015, ces chiffres révèlent néanmoins le sérieux coût d’arrêt porté dans ce domaine.
Intense campagne pour obtenir la levée des sanctions
L’Europe est en effet la principale concernée. Le volume des exportations françaises, d’après le Centre analytique, serait ainsi passé de 386,8 millions de dollars (347,3 millions d’euros) à 23,3 millions, loin derrière la Norvège cependant, qui a vu son chiffre d’affaires fondre de 1,1 milliard de dollars à 9,7 millions deux ans plus tard. Certains produits, notamment laitiers, ont pu passer entre les mailles du filet et bénéficier d’exemptions, mais ils sont rares.
Malgré une intense campagne relayée par les amis de Vladimir Poutine en Europe pour obtenir une levée des sanctions européennes prolongées de six mois en six mois – ces dernières concernent également des entreprises de défense, des banques, des prêts et des investissements dans le domaine pétrolier –, Moscou ne se fait guère d’illusions sur leur poursuite. L’Union européenne (UE), qui doit se prononcer en juin, conditionne en effet un retour à la normale à l’application complète des accords de paix pour l’Ukraine signés en février 2015 à Minsk, aujourd’hui en panne. « Selon moi, c’est trop tôt pour donner le feu vert », a déclaré, jeudi, la chancelière allemande Angela Merkel lors du sommet du G7 au Japon.
Les éleveurs français affectés
Des divergences apparaissent cependant de plus en plus au sein des Vingt-huit, et Moscou le sait bien. Ce n’est sans doute pas un hasard si l’annonce de M. Medvedev, que Vladimir Poutine doit encore ratifier, intervient le jour de l’arrivée en Grèce du président russe. Alexis Tsipras, le premier ministre grec, s’est prononcé à plusieurs reprises pour la levée des sanctions.
Il existe une autre pierre d’achoppement de nature à diviser les pays membres de l’UE : l’embargo, décrété en janvier 2014, par Moscou contre le porc européen. Officiellement motivée par la découverte de quelques cas de fièvre porcine africaine en Lituanie et en Pologne, cette mesure affecte particulièrement les éleveurs français. Stéphane Le Foll, le ministre français de l’agriculture, avait fait le déplacement à Moscou en octobre 2015 pour plaider ce dossier. Cette fois, c’est son homologue russe qui s’est rendu à Paris, le 24 mai, au grand dam de certains. Alexandre Tkatchev, ancien gouverneur de la région de Krasnodar, est en effet inscrit sur la liste des personnalités russes interdites d’entrée dans l’UE, pour son soutien appuyé à l’annexion de la Crimée. Paris ayant justifié sa venue par le fait que M. Tkatchev avait été invité par l’Organisation internationale de la santé animale, la rencontre avec M. Le Foll a pu se tenir « dans une atmosphère constructive », selon un communiqué du ministre français.
Vendredi, l’argument avancé par M. Medvedev, donner du temps aux producteurs russes de se développer – certains ont commencé à produire du camembert – a été sèchement contredit par l’économiste Sergueï Aleksachenko. « N’importe quel fonctionnaire russe qui se respecte considère de son devoir de faire un rapport sur les succès de l’économie russe dans le domaine des substitutions aux importations, cependant peu d’entre eux s’appuient sur des données statistiques », a-t-il souligné sur le site RBK, en objectant que la croissance du secteur agroalimentaire russe, certes en hausse, ne représentait encore que 3,91 % du PIB en 2015 contre 5,3 % en 2002.