Mort du sculpteur brésilien Tunga
Mort du sculpteur brésilien Tunga
Par Philippe Dagen
Figure majeure de l’art sud-américain et international, l’artiste est décédé le 6 juin à l’âge de 64 ans.
Le sculpteur brésilien Tunga devant son œuvre « Sans titre » au château de Chaumont-sur-Loire en avril 2015. | GUILLAUME SOUVANT/AFP
Antonio Jose de Barros Carvalho e Mello Mourão, dit Tunga, figure majeure de l’art brésilien et international, est mort, lundi 6 juin à Rio de Janeiro, des suites d’un cancer.
Il naît en 1952 à Palmares (Etat de Pernambouc). Son père, Gerardo Mello Mourão (1917-2007), est un poète et un acteur influent de la vie intellectuelle brésilienne, membre du « groupe de Paris » qui réunit à Rio de Janeiro des intellectuels marqués par la littérature et la philosophie française. Durant la période de dictature militaire, qui s’étend de 1964 à 1985, son opposition au régime le contraint à s’exiler au Chili avec sa famille en 1972 et 1973. C’est donc à l’université de Valparaiso que son fils, jusque-là étudiant en architecture, participe à sa première exposition.
Rentré en 1974 à Rio, Tunga s’y fait vite remarquer : son exposition au Musée d’art moderne de la ville s’intitule « Musée de la masturbation infantile ». S’y affirme une caractéristique demeurée omniprésente au long de son œuvre : la présence de la sexualité et de la réalité physique des corps, leurs fluides et mécaniques. Peu après, Tunga quitte le Brésil pour Paris : « une évidence intellectuelle, pas un refuge romantique », dira-t-il plus tard. Cette évidence est celle de la langue française, sa deuxième langue et celle de ses auteurs de prédilection : les poètes de Rimbaud à la poésie contemporaine, le structuralisme de Foucault et Barthes, la psychanalyse selon Lacan.
Partageant dès lors sa vie entre Rio et Paris, il accède progressivement à la notoriété. Invité en 1987 à « Modernidad : Art brésilien du 20e siècle » au Musée d’art moderne de la Ville de Paris, il l’est en 1992 pour « Désordres » à la Galerie nationale du Jeu de Paume et l’année suivante pour « Latin American Artists of the Twentieth Century » au MoMA de New York et au Museum Ludwig à Cologne.
Langage de volumes et de textures
Simultanément, il multiplie les expositions dans des galeries brésiliennes à Rio et à São Paulo. Il développe un langage de volumes et de textures dans lequel les formes courbes ne peuvent manquer d’évoquer anatomie et organes. S’étendant dans toutes les directions, la sculpture se mue en installations enveloppantes. On peut y reconnaître des allusions au monde animal, à la botanique, à la minéralogie et à l’astronomie. On y reconnaît des aimants, des cornues, des tresses de cheveux, des réseaux de fils, des os ou des objets quotidiens pris dans une gangue de terre ou de métal. La diversité des éléments que Tunga réunit est l’un de ses traits caractéristiques.
Ces dispositifs complexes sont des théâtres de signes agencés selon des analogies sensibles. Le symbolisme n’en est pas absent, avec ce qu’il suppose d’allusions aux religions, à l’alchimie et la transmutation des éléments. Ils fonctionnent sur le principe du piège : ils attirent par le chatoiement des couleurs et le miroitement de la lumière sur les surfaces et le regard du spectateur ne peut demeurer immobile. Ces œuvres sont à parcourir, longer, traverser. Elles appellent à des expériences sensibles qui s’adressent autant au toucher qu’à la vue. Elles font se lever aussi des références : dans l’art de Tunga circulent des traces des avant-gardes brésiliennes des années 1920, du surréalisme de Miro à Louise Bourgeois, de l’art de l’installation et de la performance apparu à partir des années 1960 et 1970, celles de sa formation.
Notoriété internationale
A partir des années 1990, sa notoriété s’accroît jusqu’à devenir véritablement internationale. Invité quatre fois à la Biennale de São Paulo entre1981 et 1998, deux fois à la Biennale de Venise en 1995 et 2001, à la Documenta X de Kassel en 1997, à la Fondation Cartier en 1998, à la Biennale de Lyon en 2000, il bénéficie en 2001 d’une exposition personnelle au CAPC Musée d’art contemporain de Bordeaux et à la Galerie nationale du Jeu de Paume.
Défendu en France par la galerie Daniel Templon, il l’est à New York, à partir de 1997, par la galerie Luhring Augustine – une puissance du marché. De 2005 au Louvre à 2014 au Palais de Tokyo, ses interventions en France ne se comptent pas, pas plus que dans son pays natal. Dans celui-ci, il joue un rôle important dans la création de l’Institut Inhotim, dans l’Etat du Minas Gerais, immense jardin botanique et musée d’art actuel, ouvert en 2006 par le milliardaire et collectionneur Bernardo Paz. En 2012, Tunga y construit son deuxième pavillon personnel, parmi ceux de Yayoi Kusama, Giuseppe Penone ou Anish Kapoor. Son œuvre est présente dans nombre de grandes collections, du MoMA de New York au Centre Pompidou à Paris.