Nadejda Savtchenko lors de sa conférence de presse à Kiev, en Ukraine, le 27 mai 2016. | GENYA SAVILOV / AFP

Les juges du tribunal russe qui ont eu le malheur d’affronter la « bête » pendant les six mois de son procès pour meurtre l’avaient appris à leurs dépens : Nadejda Savtchenko ne retient pas ses mots. Nationalisme chevillé au corps, éloquence brute, la militaire ukrainienne avait transformé le prétoire en tribune, dominant les débats et transformant chaque confrontation avec ses juges en défi lancé au Kremlin.

Vendredi 27 mai, face à une centaine de journalistes, elle n’a pas esquivé la question qui était sur toutes les lèvres depuis son retour en Ukraine deux jours plus tôt, au terme d’un échange contre deux agents russes capturés dans le Donbass. Entend-elle jouer dans l’avenir un rôle politique, voire briguer la présidence du pays ? La réponse de la pilote a fusé – « Ukrainiens, si vous voulez que je devienne présidente, alors parfait, je serai présidente » – agrémentée d’un tout petit bémol : « Honnêtement, je ne dis pas que je le veux. J’aime voler. »

Etonnamment mesurée

La réponse, comme la question, n’a rien d’absurde. Dès son retour, Nadejda Savtchenko s’était dite prête à donner sa vie pour l’Ukraine, que ce soit au front ou dans l’arène politique. Ses presque deux années de détention, associées à la réputation d’imbrisable qu’elle y a gagnée, ont fait d’elle une icône ; la « Jeanne d’Arc ukrainienne », avait même osé le prix Nobel de littérature 2015, la Biélorusse Svetlana Alexievitch.

« Si l’on ajoute à cela la défiance extrême vis-à-vis des responsables politiques actuels, son élection à la présidence est tout à fait réaliste », assure le politologue Vladimir Fessenko, qui nuance toutefois : « Ce serait même très possible si l’élection avait lieu dans les mois qui viennent, tant l’Ukraine est friande d’hommes providentiels, mais 2019 est encore une échéance lointaine. »

Elle-même a reconnu manquer encore d’expérience, « ne pas savoir comment s’y prendre pour porter au pouvoir des élus honnêtes qui pourraient vraiment changer l’Ukraine ». Lors de cette conférence de presse, la militaire est même apparue étonnamment mesurée, loin de positions populistes que la dureté de ses discours passés aurait pu laisser imaginer. Si elle a regretté ne pas avoir eu de grenade en main au moment de sa capture, en juin 2014 près de la ville de Louhansk, elle a estimé nécessaire de dialoguer avec les rebelles séparatistes pour obtenir un règlement du conflit dans l’est de l’Ukraine. Elle a aussi dit vouloir se consacrer dans un premier temps à la libération des Ukrainiens détenus en Russie ou par les rebelles, dont Kiev estime le nombre à 174.

Poil à gratter

En attendant, la pilote a déjà un pied en politique. Lors des élections d’octobre 2014, l’ancienne première ministre Ioulia Timochenko l’avait placée, en son absence, en première position de sa liste. Dès mardi, elle sera présente à la Rada, le Parlement ukrainien, pour être investie députée.

Plusieurs offres de service de différentes forces politiques lui sont déjà parvenues, mais ses premiers contacts avec Mme Timochenko montrent que Nadejda Savtchenko sera tout sauf un trophée que l’on exhibe. « Vous et moi ne nous connaissons pas assez », a-t-elle lancé à l’ancienne première ministre pour refuser le bouquet de fleurs que celle-ci lui tendait sur le tarmac de l’aéroport. Elles s’était aussi abstenue de remercier le président, Petro Porochenko, pour sa libération.

La réplique sonne comme un avant-goût du poil à gratter que pourrait devenir Nadejda Savtchenko dans le paysage politique ukrainien. A moins que celui-ci ne finisse, avec ses règles impitoyables, son entre-soi et ses manœuvres de couloir, par avoir le dessus sur la novice. « Son entrée en politique sera autrement plus délicate que son procès en Russie », prédit le politologue Vladimir Fessenko.