Vives critiques contre la stratégie de maintien de l’ordre à Rennes
Vives critiques contre la stratégie de maintien de l’ordre à Rennes
Par Nicolas Legendre (Rennes, correspondance)
Des journalistes matraqués, une « charge » policière motorisée : les forces de l’ordre sont accusées d’employer des moyens disproportionnés pour contenir les manifestants en Bretagne.
Des policiers aspergent les manifetants de gaz lacrymogène depuis leur véhicule, le 2 juin à Rennes, en Ille-et-Villaine. | DAMIEN MEYER / AFP
Arrivé de Corse mi-mai, le nouveau préfet de Bretagne, Christophe Mirmand, n’a pas eu le temps de s’acclimater à son nouveau chez-lui. Ses services travaillent depuis près de trois mois dans un contexte extrêmement tendu. Les manifestations émaillées de violences se succèdent à Rennes et les critiques à l’égard des forces de l’ordre ont redoublé ces derniers jours.
Jeudi 2 juin, dans la capitale bretonne, deux cortèges d’opposants au projet de loi travail se sont rejoints aux abords de la préfecture de région. En marge de ces rassemblements autorisés, des manifestants se sont dirigés vers la rocade. Alors que certains y parvenaient, plusieurs véhicules de police ont roulé sans s’arrêter dans leur direction pour les disperser.
Les policiers, vitres ouvertes, ont vaporisé du gaz lacrymogène sur les manifestants. Une fois les véhicules arrêtés, la dispersion s’est poursuivie à coups de matraque. Deux blessés ont été pris en charge sur place par les pompiers. Plusieurs journalistes ont aussi été bousculés, parfois violemment, et certains ont reçu des coups. Les images de la charge motorisée des policiers ainsi que celles montrant des journalistes aux prises avec les forces de l’ordre ont abondamment circulé sur Internet.
« Les moyens affectés à l’état d’urgence serventà réprimer le mouvement social, ce qui constitue un très grave écart par rapport à l’éthique républicaine », ont affirmé les représentants locaux du Parti communiste dans un communiqué. Les écologistes ont appelé à « une stratégie de désescalade de la part des forces de l’ordre et des pouvoirs publics ». La députée et maire de Rennes, Nathalie Appéré (PS), a réagi sur Twitter : « Une enquête doit établir les faits pour sanctionner tout manquement. »
Plusieurs collégiens légèrement blessés
Le même jour, à Saint-Malo, un autre incident survenu aux abords d’un collège a suscité l’émoi. L’intervention des forces de l’ordre, destinée à permettre la réouverture de l’établissement, occupé par des parents et des jeunes qui protestaient contre sa fermeture annoncée, a provoqué une bousculade. Plusieurs collégiens ont été légèrement blessés.
En fin de journée, le préfet, l’inspecteur d’académie et le directeur départemental de la sécurité publique se sont exprimés devant la presse dans une atmosphère pesante. Les échanges ont parfois été vifs entre les représentants de l’Etat et les journalistes, dont certains avaient été matraqués le jour-même. Dans le collimateur : l’attitude des forces de l’ordre, accusées d’user de la force de manière disproportionnée.
« S’il y a eu des violences, je ne peux que les déplorer et les regretter », a indiqué le préfet, qui a invoqué la « nécessité de rétablir l’ordre public lorsqu’il est compromis par des manifestations », avant d’ajouter : « Tenez bien compte […] des conditions qui sont parfois compliquées pour intervenir et de la sollicitation extrême des fonctionnaires de police ou des gendarmes depuis plusieurs semaines. » Concernant l’incident survenu à Saint-Malo, Christophe Mirmand n’a pas exclu de diligenter une enquête administrative, mais a néanmoins précisé : « Les images que j’ai vues […] ne me donnent pas à penser qu’il y ait eu violence. »
Quelques instants plus tard, Xavier Debontride, coprésident du Club de la presse de Rennes, annonçait que son association allait saisir prochainement le défenseur des droits, estimant qu’une « étape inadmissible a été franchie », jeudi 2 juin : « Plusieurs journalistes ont été violemment pris à partie par des membres des forces de l’ordre […] C’est le droit d’informer qui est délibérément attaqué. »
Pas d’inflexion des services de l’Etat
Les représentants des forces de l’ordre évoquent, de leur côté, le poids du contexte. « La manifestation d’hier sur la rocade de Rennes n’était pas autorisée, indique Frédéric Gallet, secrétaire départemental du syndicat Alliance-police nationale. C’était un attroupement illégal, potentiellement dangereux pour les manifestants et pour les automobilistes. A partir du moment où on a reçu l’ordre de disperser par tous les moyens, on utilise la force. » Et d’ajouter, à propos des violences subies par des journalistes : « Ils ont été bousculés parce qu’ils empêchaient les policiers de travailler. On est en maintien de l’ordre, c’était risqué [pour les journalistes] de venir au cœur d’un attroupement [de policiers] armés. »
Un autre policier nuance, sous couvert d’anonymat : « Quand il faut aller vite, il y a parfois de la bousculade. Les instructions de la préfecture étaient claires : il fallait éviter que les manifestants aillent sur la rocade. Mais il y a différents moyens pour ça. Je pense qu’il y a faute sur la charge d’hier et que des sanctions seront prises. »
Les événements récents ne semblent pas en mesure, pour autant, de provoquer une inflexion dans les choix effectués par les services de l’Etat. « Traiter des événements d’ordre public et de maintien de l’ordre face à des groupes très mobiles, c’est objectivement très compliqué, confie un officier de police rennais. La stratégie n’est pas à remettre en cause. »