Soudan du Sud : Riek Machar n’a pas envie de rentrer mourir à Juba
Soudan du Sud : Riek Machar n’a pas envie de rentrer mourir à Juba
Par Jean-Philippe Rémy (Johannesburg, correspondant régional)
Le vice-président, qui a pris la fuite à cause des lourdes menaces qui pèsent sur lui, a été sommé par Salva Kiir, président du pays, de rejoindre la capitale avant samedi.
Riek Machar est introuvable. Sans doute y a-t-il quelques bonnes raisons à cela. Après les combats qui ont opposé ses soldats à ceux de Salva Kiir ces dernières semaines, si quelqu’un espérait que les deux hommes supposés sauver le Soudan du Sud allaient se remettre gentiment au travail, comme si plusieurs centaines de cadavres n’encombraient pas les morgues de la capitale, il est temps de cesser de rêver.
Le vice-président a fui pour sauver sa vie, et il se cache. Pendant ce temps, reclus dans son palais sous bonne garde, le président sud-soudanais a lancé un « ultimatum de quarante-huit heures », expirant samedi 23 juillet, à son vice-président pour qu’il revienne à Juba de gré ou de force. Ce faisant, il menace de lui faire la guerre s’il se refuse à rentrer faire la paix. Il y a de quoi se méfier.
De plus, si on résume : Juba est désormais entièrement sous contrôle des éléments pro-Kiir. Ceux des hommes de Riek Machar qui n’ont pas été tués lors des derniers combats ont fui la ville pour éviter d’y être massacrés par les pro-Kiir, appuyés par des blindés et des hélicoptères d’attaque Hind – le Soudan du Sud, pays ruiné, a acheté plus d’un milliard de dollars d’armes ces derniers temps, notamment en Chine. A ceci s’ajoute la propension des forces de l’Armée de libération des peuples du Soudan (SPLA, dont la branche « originale », également appelée « dans le gouvernement », rassemble les partisans du président Kiir) à feindre l’inorganisation pour mieux tuer en se lavant de toute responsabilité.
Un objectif commun
Alors Riek Machar demeure invisible. Est-il en train de battre le rappel de ses troupes dispersées, y compris de celles qui ne lui obéissent que sous certaines conditions particulières, lorsque se dégage, ponctuellement, un objectif commun ? Cela concerne les groupes de milices traditionnelles de l’ethnie nuer, la white army, qui peuvent se regrouper et faire masse pour une offensive, avant de rentrer s’occuper de leurs troupeaux et ont peu d’intérêt pour la politique de Juba.
Est-il en train de se réarmer avec l’appui d’un pays voisin, comme le Soudan, celui qu’on accuse de le soutenir en secret ? Rien de tout cela n’est prouvé. Mais certaines forces de sa faction, l’Armée de libération des peuples du Soudan/En opposition (SPLA/IO) sont cantonnées à quelques distances de Juba. Certains de ses alliés, notamment dans les Etats de l’Equatoria, pourraient être tentés de reprendre la guerre. Dans ces journées de flottement, le sort du Soudan du Sud est peut-être déjà en train de basculer.
Dans l’immédiat, Juba cherche Riek Machar, tandis que les porte-parole de ce dernier font connaître ses exigences. En substance, le vice-président pourrait regagner la capitale si une force de protection régionale, mandatée par l’Union africaine mais placée sous un mandat renouvelé et durci des Nations unies, se déployait à Juba et pouvait garantir sa sécurité. On est encore loin de cette éventualité. Non que les troupes de la région fassent défaut. Au contraire, et c’est exemplaire, plusieurs pays sont prêts à faire vite, très vite, pour mettre plusieurs bataillons à disposition. C’est le cas de l’Ethiopie, de l’Ouganda, du Kenya et, peut-être, du Rwanda, selon nos informations. Ceci en plus de leurs hommes déjà présents dans la Minuss, acronyme malheureux de la Mission des Nations unies au Soudan du Sud.
Violence de la situation
Le cadre de cette intervention a été validé par l’Union africaine, mardi 19 juillet, lors de son sommet à Kigali. Il reste au Conseil de sécurité de l’ONU à opérer les modifications du mandat de la Minuss pour en fixer de nouvelles règles, plus adaptées à la violence de la situation. Cette force renouvelée devrait assurer la protection de certains points de la capitale, à commencer par l’aéroport, et celle de personnalités politiques, ce qui ne concerne pas seulement Riek Machar. Car, aujourd’hui encore, certains responsables de l’opposition sont à l’abri dans les camps de l’ONU dont ils ne peuvent sortir, de peur d’être arrêtés ou tués. Tout ceci, néanmoins, se heurte à un obstacle : le refus catégorique de Salva Kiir et de ses proches de laisser se déployer au Soudan du Sud « un seul soldat en plus », ceci étant considéré comme une insulte à la « souveraineté » du pays qui risque, pourtant, d’imploser.
Depuis l’endroit où il se cache, sans doute en compagnie de ses responsables militaires ayant survécu aux combats de Juba, dont son chef d’état-major, le général Gatwetch, Riek Machar ne reste pas inactif. Son mouvement, la SPLA-IO vient de couper une branche, celle d’un de leur représentant resté dans la capitale. Un communiqué de James Gatdet Dak, le responsable de la communication de la SPLA/IO, avertit vendredi : « Son excellence, le Dr Riek Machar Teny-Dhurgon, a intimé l’ordre à tous les commandants et unités de la SPLA-IO de couper les communications avec le ministre des mines, le général Taban Deng, et quelques individus avec lui qui sont impliqués dans une conspiration menée par la faction du président Salva Kiir. »
La veille, un autre des alliés de Riek Machar, le redoutable Peter Gatdet, accusait déjà Taban Deng d’être de mèche avec le pouvoir à Juba pour chercher à évincer Riek Machar et mener des pourparlers de paix en solo. Taban Deng est un ancien responsable militaire de l’ethnie nuer, comme Riek Machar. Il aurait donc pu poser, en théorie, comme un responsable de remplacement, docile avec le pouvoir de M. Kiir.
Le calcul avait peu de chance de fonctionner. Désormais, il est tué dans l’œuf. Mais, au passage, voici l’émergence d’une nouvelle faction, ou la mise en évidence que ni le président, ni le vice-président ne contrôlent complètement leur propre camp. Ce qui rend non seulement incertaine l’hypothèse d’un retour à la case du plan de paix les associant, mais peut-être aussi contraire à la logique la plus élémentaire. Le grand journaliste Alfred Taban, emprisonné depuis à Juba, avait écrit il y a quelques jours que la paix, au Soudan du Sud, devait se faire sans Salva Kiir et sans Riek Machar.