Dans l’accélérateur de particules du CERN, le mirage d’une nouvelle particule s’évanouit
Dans l’accélérateur de particules du CERN, le mirage d’une nouvelle particule s’évanouit
LE MONDE SCIENCE ET TECHNO
Les espoirs suscités récemment d’observer une particule d’un genre nouveau ont été déçus par les derniers résultats des expériences conduites au LHC.
Une signature du boson de Higgs telle qu’apparue dans le détecteur CMS du Cern en mai 2012
Cruelle déception pour le monde de la physique des particules. Vendredi 5 août, lors de la conférence annuelle de physique des hautes énergies qui se tient à Chicago (Illinois) jusqu’au 10 août, les porte-parole des deux expériences phares de l’Organisation européenne pour la recherche nucléaire (CERN), près de Genève, ont confirmé qu’ils n’avaient pas vu de nouvelles particules dans leurs détecteurs.
Cette annonce douche les espoirs nés au cours des derniers mois au LHC (Large Hadron Collider) du CERN, le plus grand accélérateur de particules du monde : des indices d’un tel événement avaient pointé leur nez, déclenchant la production de plus de cinq cents propositions théoriques pour lier ces frémissements à une nouvelle particule, jamais vue jusqu’alors. Cela aurait été une découverte majeure, car cette particule aurait été la première à sortir du Modèle standard, le cadre théorique en vigueur. Elle aurait ouvert de facto de nouveaux horizons, au-delà des connaissances actuelles. « Cela aurait été comme lorsqu’on est passé aux théories d’Einstein de la gravitation pour explorer l’Univers », souligne Nathalie Besson, chercheuse au Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) et membre d’Atlas, une des deux expériences, avec CMS, à traquer ces particules.
La découverte aurait donc été au moins aussi importante que la première observation d’ondes gravitationnelles sur Terre annoncée en février. En fait, ce qui se passe au CERN est un peu l’équivalent de l’exploration maritime au XVe siècle : une aventure en régions inconnues. En faisant se percuter des protons dans leur accélérateur gigantesque de 27 km de circonférence, à des vitesses proches de celles de la lumière, les physiciens dégagent des quantités folles d’énergie, laquelle se retransforme en matière, potentiellement nouvelle.
C’est ainsi que les preuves de l’existence du boson de Higgs ont été obtenues en 2012, ce qui était la dernière pièce attendue du puzzle. Désormais les énergies atteintes sont supérieures de plus de 60 %, et les territoires explorés sont vierges. Mais mer d’huile à perte de vue ou tempêtes, voire îlots à l’horizon ? Telle est la question qui se pose depuis la reprise des expériences en 2015.
Une gueule de bois carabinée
Les premiers résultats penchaient pour la troisième hypothèse. Les deux détecteurs, Atlas et CMS, avaient enregistré, à la même énergie, une production légèrement excédentaire de photons par rapport à la théorie. Exactement ce que l’on aurait attendu si une nouvelle grosse particule, six fois plus lourde que le boson de Higgs, était créée dans les collisions puis se désintégrait en une paire de photons.
Sauf que la physique de l’infiniment petit est régie par la mécanique quantique et les lois du hasard. Percuter des particules ne donne pas toujours le même résultat et s’apparente à un lancer de dés. Parfois les dés peuvent tous tomber sur le six plusieurs fois de suite (ou, dans le cas des particules, créer un excès de photons)… Mais avant de crier à la triche (ou à la découverte), il faut les lancer et les relancer pour vérifier que l’anormal est bien anormal et non le fait d’une facétie du hasard. Autrement dit, si à l’horizon on a affaire à un îlot, signe d’espoir, ou au contraire à une grosse vague, équivalente à un mirage décevant. En mars, la probabilité pour que ce soit un îlot était jugée trop faible pour crier victoire. Quelques mois plus tard, avec bien plus de données, le camp de la prudence triomphe : c’était une grosse vague, qui a maintenant disparu…
« C’est une grosse déception », dit Adam Falkowski, chercheur CNRS au laboratoire de physique théorique de l’université d’Orsay (Essonne) et auteur du blog Résonaances. « C’est une gueule de bois carabinée », ajoute son collègue d’Orsay Abdelhak Djouadi, qui confie n’avoir pas beaucoup dormi ces derniers mois. « C’est comme lorsque l’Islande a battu l’Angleterre lors de l’Euro 2016, ose Yves Sirois (CNRS), qui a représenté la France au sein de l’expérience CMS. C’était improbable, surprenant et exaltant, et certains spéculaient déjà sur le bouleversement de la hiérarchie mondiale. On était sur le qui-vive, on a rejoué le match, et tout est malheureusement rentré dans l’ordre. Le Modèle standard a de nouveau triomphé. »
Progression du nombre d’articles déposés sur arxiv.org par les théoriciens pour expliquer les données de CMS et ATLAS en 2016 (par @DrAndreDavid)
La faute à pas de chance
L’histoire confirme le proverbe disant qu’il ne faut pas vendre la peau de l’ours avant de l’avoir tué. De fait, la prudence avait toujours été de mise. « Nous voyons régulièrement de telles fluctuations dans nos données. Il faut les prendre au sérieux, mais ne pas déboucher le champagne tout de suite », rappelle Nathalie Besson. «Nous n’avons pas à être optimistes ou pessimistes. On observe la nature et nous avons encore plein de secrets à percer», ajoute Marumi Kado, coordinateur des analyses d’Atlas.
Il n’empêche que ce mirage était spécial : assez net, il avait été vu au même endroit par les deux expériences, qui sont indépendantes. Les émissions de paires de photons avaient déjà été l’une des signatures clés pour identifier le boson de Higgs. Bref, « ça sentait le boson », se souvient Abdelhak Djouadi. « Soit c’était la plus grosse des découvertes, soit la mère des fluctuations statistiques. Nous sommes finalement dans le deuxième cas ! », résume-t-il. « Certains considèrent que les théoriciens se sont trop excités en publiant des centaines d’articles. Mais notre travail est de faire des modèles et de les confronter aux données. Là, il y avait des données, alors il était normal de tester nos idées avec », explique le chercheur. Finalement, ni erreurs expérimentales ni artefacts, mais simplement pas de chance.
L’exploration continue
Fin de l’histoire ? Non, car l’accélérateur fonctionne très bien et produit une quantité importante de données : cinq fois plus qu’en 2015 et, en trois mois, le LHC a presque atteint son objectif de 2016. Cette année, 50 % de plus de bosons de Higgs ont été créés par rapport aux deux ans préliminaires à la découverte. Une centaine de résultats ont été présentés à la conférence de Chicago… Surtout la mer d’huile s’agite toujours. Des « vaguelettes », à d’autres énergies, ont déjà été repérées, avec la prudence qui s’impose encore plus désormais avant de les prendre pour des terres inconnues.
Les physiciens scrutent également sous toutes les coutures le boson de Higgs. Le trouver était une chose, le comprendre en est une autre. Car il s’agit vraiment d’une particule unique en son genre. Il faut donc étudier comment elle interagit avec les autres, voire avec elle-même. Les débris de paires de photons ne sont qu’un des indices de son existence. Il y en a des dizaines d’autres à étudier avec l’espoir d’y trouver quelque chose d’anormal, qui serait l’indice d’une présence encore cachée et excitante. « J’ai du mal à suivre toutes les analyses qui sont produites ! », dit Yves Sirois. Comme le LHC fonctionnera certainement encore au-delà de 2030, les facéties statistiques continueront et il faudra toujours veiller à ne pas prendre un raz de marée pour un continent.
« Nous ne sommes qu’au début de l’aventure, a expliqué Fabiola Gianotti, directrice générale du CERN, dans un communiqué. La superbe performance de l’accélérateur LHC, des expériences et de l’informatique est d’extrêmement bon augure pour une exploration détaillée et complète (…) et pour des progrès considérables de notre compréhension de la physique fondamentale. »