Claude Onesta : « J’essaie de ne pas devenir un boulet »
Claude Onesta : « J’essaie de ne pas devenir un boulet »
Propos recueillis par Henri Seckel (Rio de Janeiro, envoyé spécial)
Avant d’affronter les redoutables équipes du Qatar, de la Croatie, et du Danemark, l’équipe de France de handball entame la défense de son titre olympique face à la Tunisie la nuit prochaine (0 h 50).
Et toujours au loin, là-bas, une troisième couronne olympique. | FRANCK FIFE / AFP
2008. 2012. 2016 ? L’équipe de France de handball entame dimanche soir (0 h 50, heure française), face à la Tunisie, la seconde défense de son titre olympique. Une entrée en matière délicate face à un adversaire rugueux, avant un programme infernal : Qatar, Croatie, Danemark. Dans le cadre chic et luxuriant du club France, QG de la délégation tricolore à Rio, le sélectionneur Claude Onesta, 59 ans dont 15 à la tête des Bleus, livrait ses impressions quelques jours avant que ne débute un tournoi incertain, mais à la portée de ses joueurs.
Comment sentez-vous l’équipe qui s’apprête à défendre son titre olympique ?
C’est une équipe dont je pense par moments qu’elle a peut-être plus de potentiel que les précédentes, mais elle a, d’évidence, moins de maîtrise. Les joueurs que l’on a sont moins expérimentés, mais il y a un bouillonnement qui peut aussi être merveilleux. Cette incertitude fait partie des choses qu’il va falloir gérer de la manière la plus fine possible. Dans le niveau de performance, on peut alterner entre l’insuffisant et le brillant. On travaille pour que le brillant soit plus fréquent que l’insuffisant.
On vous a vu gronder un de vos joueurs (Kentin Mahé) lors de la « journée médias » d’avant-JO, parce qu’il se promenait avec un appareil photo.
Vous êtes à disposition des journalistes, vous êtes censé représenter l’équipe de France et vous montez sur l’estrade avec un appareil photo. Il ne manque que le parasol, et après, il peut aller à la plage. Bon, c’était dit gentiment, et ensuite je lui ai dit qu’il était important de prendre la mesure de tout ça. Ce qui m’intéresse, c’est que les joueurs soient capables d’analyser ce qui se passe. Et le village olympique, pour ça, est terriblement perturbant, parce que vous n’y reconnaissez rien, ce n’est absolument pas le lieu de vos habitudes, et vous êtes complètement soumis à des choses qui viennent vous impacter. Si vous ne faites pas le tri, vous allez, au bout d’un moment, devenir spectateur de ce qui se passe autour, et non plus acteur.
Votre rôle principal, c’est de surveiller que personne ne s’égare.
Ce sont mes quatrièmes Jeux, j’ai un peu démystifié tout ça. Par contre, je sais ce qui peut être dangereux, et je sais qu’un groupe uni est un groupe qui va mieux résister à cette perversion. Jusqu’à maintenant, on avait, en gros, dix joueurs expérimentés et cinq jeunes, et là, pour la première fois, on a cinq expérimentés et dix jeunes. Donc la capacité à encadrer et à savoir éviter les fausses pistes est plus diffuse. De temps en temps, il y a un petit poussin qui s’éloigne un peu et hop, il faut lui filer un petit coup sur les fesses pour qu’il revienne dans le groupe. C’est mon rôle.
Vous aviez laissé Didier Dinart prendre plus de place sur le banc lors de l’Euro en Pologne au début de l’année, sans grand succès (élimination avant les demi-finales). Et cette fois ?
Il n’y a pas de raison qu’on ne sache pas, nous aussi, progresser et apprendre de quelques erreurs. On a travaillé sur la capacité à mieux s’organiser, partager, échanger, et je pense qu’on sera meilleurs à Rio qu’à l’Euro. Je lui avais laissé de l’espace parce que, dans quelques semaines ou quelques mois, il aura à utiliser l’espace pleinement, et que mon rôle est de l’habituer à gérer cette prise de décision. J’ai utilisé l’Euro pour que ça s’accélère, et par moments, on a compris que cette accélération pouvait générer quelques perturbations.
Claude Onesta, entre Didier Dinart (gauche) et Danie Narcisse, le 4 août 2016 à Rio. | FRANCK FIFE / AFP
A quoi ça va ressembler, ce tournoi olympique ? Vous allez sans doute être bien secoués dès le premier tour, il n’est pas impossible que vous perdiez un match ou deux. Avez-vous prévu cette situation ?
Oui, c’est mon rôle. Les matchs de poule ont un intérêt relatif, dans la mesure où on se dit qu’on finira quand même dans les quatre premiers, et qu’on sera quoi qu’il arrive en quart de finale. Et bien malin celui qui peut me dire aujourd’hui, parmi les quatre premiers de l’autre poule, quel est l’adversaire le plus intéressant à jouer, entre les Suédois, les Allemands, les Polonais, et les Slovènes. Donc premier ou quatrième, tout compte fait, ça n’est peut-être pas l’essentiel.
On revient vous voir dans dix jours alors, à la fin du premier tour.
Sauf qu’au premier tour, une défaite, deux défaites, ça peut aussi être un élément de déstabilisation, de perte de confiance, et là, tout à coup, ça peut engager de la difficulté quant à l’échéance du quart de finale. Ce qu’il faut, c’est sortir de la phase de poule, quel que soit le classement, en se sentant fort, et ne pas se gargariser d’une phase de poule éventuellement très réussie. On a déjà payé pour le savoir en 2004, à Athènes, où on avait gagné tous nos matchs de poule de manière brillante, pour échouer de manière minable en quart de finale contre des Russes vieillissants. Il y a suffisamment de gens qui étaient là et qui le sont encore pour que cette cicatrice reste en mémoire.
Ça a l’air bizarre à gérer, la phase de poule.
On continue la préparation d’une certaine manière, pour arriver au quart de finale en situation maximale. Vous pouvez gagner cinq matchs, mais arriver en quart avec une équipe amoindrie, et vous faire attraper par n’importe quel adversaire, et là, vous avez tout perdu. Parfois, il faut savoir préserver des joueurs un peu gênés ou blessés, quitte à perdre un match, etc. Cela dit, un problème qui nous atteint, c’est déjà quelque chose qui a été mal géré. Mon rôle, c’est de veiller à ce que rien ne nous atteigne. Je ne suis pas Dieu, je ne sais pas ce qu’il faut faire, mais ce que je sais, c’est qu’il ne faut pas laisser faire. Je dois en permanence avoir un petit coup d’avance pour sentir venir les problèmes, les résoudre avant qu’ils n’aient commencé à générer des difficultés.
Ça fait quinze ans que vous êtes sélectionneur de l’équipe de France, ces Jeux sont votre dix-neuvième tournoi à la tête des Bleus. Franchement, vous ne commencez pas à en avoir marre ?
Quand tu avances dans ton métier, tu ne peux plus te satisfaire de refaire toujours les mêmes choses. J’ai du plaisir à être ici, à rencontrer les gens, mais je n’ai plus besoin de rien pour moi, je ne suis plus obnubilé par les matchs, la compétition, etc. Ce qui m’intéresse, c’est de continuer à être là sans être dérangeant pour ceux qui sont en train d’assumer les réponsabilités. Avant de venir, je ne savais pas si je me régalerais. Par moments je me disais : « Putain, je vais peut-être me faire chier. » Et là, je sais que je suis bien. Je suis sur la fin. Je suis comme quelqu’un qui termine son parcours, avec le sentiment d’un parcours plutôt réussi, et la responsabilité de ne pas dire : « Après moi le déluge. » La pression de la compétition elle même est de moins en moins une réalité pour moi. J’essaie juste d’être utile, et de ne pas devenir un boulet pour ceux qui voudraient entreprendre à côté de moi, et qui peut-être n’osent pas.
Rien à voir avec la choucroute : le CIO a décidé de ne pas exclure la Russie des Jeux malgré la publication d’un rapport révélant un dopage d’État. Que pensez-vous de cette affaire ?
Qu’est-ce que je pense de quelque chose à laquelle personne ne comprend rien ? En règle générale, quand je sais pas, je me tais. On ne sait que ce que vous racontez, et ce que vous racontez, c’est un dixième de ce qui existe dans les dossier réels, donc je ne vais pas faire de commentaire. Mais au sujet du dopage en général, je dirais que c’est à l’image de la vie. Dans la vie, il y a des voleurs, des tricheurs, et il n’y a pas de raisons que les sportifs ne soient pas dans la logique de la vie de tous les autres.
La question, c’est : est-ce que quelqu’un qui est pris devrait être radié à vie ? Non. Ramenez-le à ce qu’est la vie. Un système dans lequel le pardon et la capacité à expier ses fautes n’existent pas est un système qui ne peut pas vivre. Vous ne pouvez pas éliminer les gens à la première erreur. La nature même de la vie, c’est d’apprendre de ses erreurs. Que vous voyez sanctionnés est une nécessité, évidemment. Mais qu’à l’issue de cette sanction, vous puissiez, après avoir réfléchi, revenir dans un système, et le prendre de manière positive et non plus en trichant, c’est ce qui va permettre de le rendre utile et intelligent. Par contre, la deuxième fois, c’est fini. Si le temps de la sanction n’a pas été le temps de l’analyse et de la volonté de sortir de cet environnement... Cela dit, quand on est dans du dopage d’État, le choix de l’athlète est forcément complexe.
Ce qui m’amuse, c’est que j’ai lu dans un compte-rendu de la Fédération internationale de handball ces dernieres jours que, dans le lot des éprouvettes de 2008 et 2012 réanalysées, il y aurait huit joueurs russes. Alors comme les Russes n’étaient pas à Londres, c’est que c’était à Pékin. Et à Pékin, on les a éliminés en quart de finale. Donc vous voyez bien qu’on peut être propre et battre les dopés. Il peut y avoir une bonne fin à l’histoire.