Au Niger, Achirou, 38 ans, deux épouses et quatorze enfants
Au Niger, Achirou, 38 ans, deux épouses et quatorze enfants
Propos recueillis par Matteo Maillard (Serkin Yamma, Niger, envoyé spécial)
Série : Un combat pour la vie (24). Le Niger est le pays qui a le taux de fertilité le plus haut du monde avec 7,6 enfants par femme. Mais les mentalités évoluent, et l’idée de planning familial progresse.
Achirou Garba règne en jeune patriarche sur une cour de chérubins. Quatorze enfants de 3 à 17 ans qui se reposent ou se chamaillent autour de sa maison, une cahute en pisé dans la commune rurale de Serkin Yamma, à une vingtaine de kilomètres de Maradi, tout près de la frontière que le Niger partage avec le Nigeria. Sept filles et sept garçons que ses deux épouses ont donnés à l’insatiable Achirou, réglé comme un métronome : « Chaque année, un baptême », sourit-il.
Dans le pays au plus haut taux de fécondité du monde avec 7,6 enfants par femme, Achirou, 38 ans, n’est pas une exception mais un « exemple ». Ce qui lui pose quelques problèmes. Le champ que lui a légué son père s’épuise. La faute au changement climatique et à l’intensification des cultures sur une parcelle qui va en rétrécissant. Il a dû la partager avec ses nombreux frères et sœurs, sa multitude de neveux et nièces, et sa kyrielle d’enfants. La nourriture se fait rare et la vie se transforme petit à petit en survie. Entretien avec un homme qui balance en tradition et modernité.
Achirou, pourquoi as-tu fait autant d’enfants ?
Parce que je me suis marié ! J’aurais dû aller au collège, mais j’ai préféré rester à la maison et prendre une femme. Puis une deuxième.
A quel âge t’es-tu marié la première fois ?
A 22 ans. C’est mon père qui m’a offert mon premier mariage, comme le veut la tradition. Il a dû gérer l’organisation, payer les frais et la dot. Par contre, le deuxième mariage, c’est à toi de l’assurer. Moi j’ai pris une seconde femme deux ans plus tard, parce que j’avais encore suffisamment de ressources pour assurer nos besoins après mon premier mariage. Maintenant, c’est plus difficile. Ce n’est pas le nombre d’enfants qui est trop grand, mais le champ qui est trop petit pour tous nous nourrir.
Ce champ, c’est celui de la famille ?
De mon grand-père, oui. Il avait 10 hectares de terre qu’il a partagés entre ses deux fils. Quand je me suis marié, étant l’aîné, mon père m’en a offert 4 hectares et il en a gardé un pour lui. A sa mort, ses sœurs ont réclamé pour leurs enfants les parts du champ qui leur étaient dues. De mon héritage, aujourd’hui, il ne me reste que 0,5 hectare.
C’est trop peu pour nourrir une famille de deux épouses et quatorze enfants ?
Oui. Avec mes économies, j’ai pu acheter 1,5 hectare en plus. J’ai donc 2 hectares de terre, mais c’est toujours insuffisant. Mon père devait nourrir douze enfants avec 5 hectares. Je dois en nourrir quatorze avec 2 hectares. Au Niger, la taille des familles grandit mais celle des parcelles rétrécit.
Achirou, 38 ans, travaille la terre et vit de petits boulots pour nourrir sa famille composée de deux épouses et de quatorze enfants, Serkin Yamma, au Niger. Grâce à l’instruction de base qu’il a reçu enfant, il a pu devenir relais communautaire dans son village après une formation délivrée par l’Unicef. | Matteo Maillard
Comment fais-tu pour t’en sortir ?
Plusieurs boulots. Après la saison des pluies, si les récoltes ont été bonnes, je vends un peu de manioc, de sorgho, d’arachides ou de haricots du champ. Pendant la saison sèche, je fais du jardinage : tomates, oignons et choux. Je coupe du bois de chauffe loin d’ici que je vends à Maradi. Il m’arrive de faire aussi le moto-taxi. Mais ça ne suffit toujours pas pour subvenir aux besoins de ma famille. On fait comme on peut, hein… Et, en plus de mes enfants, je dois aussi m’occuper de nourrir mes parents maintenant qu’ils sont vieux.
A force d’exploitation, la terre de ton champ n’est-elle pas fatiguée ?
Oui, les sols se sont appauvris. Avant, quand la terre était riche, sur un hectare tu arrivais à récolter 100 bottes (unité de mesure), alors maintenant on en obtient que 20.
Le climat a changé aussi ?
Aussi. Avant quand on semait, les pluies ne s’interrompaient pas. Ce n’est plus le cas. Les sols se dessèchent. Les récoltes sont moins bonnes. Il y a de plus en plus d’insectes nuisibles qui détruisent les cultures.
Tes épouses t’aident-elles au champ ?
Non, c’est moi qui y travaille. Elles restent à la maison pour s’occuper du ménage, chercher de l’eau, du bois, cuisiner et s’occuper des enfants.
Et tes enfants, ils t’aident ?
Je les mets à contribution parfois.
Tous ?
Non, à partir de 12 ans. Ils viennent travailler la terre avec moi mais uniquement durant les vacances et les week-ends. Je ne leur demande pas d’arrêter l’école. Je n’oserais pas. Moi je regrette d’avoir interrompu mes études. Je ne veux pas qu’un de mes enfants, garçon ou fille, ait à faire ce choix. L’école, c’est trop important.
Pourquoi est-ce important ?
Aujourd’hui, je suis un relais communautaire [agent de santé local formé par l’Unicef en soins de base pour la mère et l’enfant]. Si j’ai été recruté, c’est parce que j’avais une éducation, même si elle est basique. Ça m’a permis de gagner un peu d’argent. Si j’avais étudié plus, j’aurais gagné plus.
Jusqu’à quel âge es-tu allé à l’école ?
Jusqu’en CM2. J’étais admis à l’examen de sixième mais je n’avais pas la bourse pour continuer. Mes moyennes n’étaient pas assez bonnes.
Jusqu’à quel âge veux-tu que tes enfants étudient ?
J’ai un ami qui a beaucoup étudié. Maintenant, il travaille à l’international et quand il vient ici voir la famille, il donne toujours un billet de 10 000 francs CFA (15 euros) rien que pour le thé ! Moi je souhaiterais que l’on dise de mes enfants qu’ils sont allés jusqu’en Chine ! Pour ça, ils doivent faire de longues études.
Tu as les moyens de leur financer de telles études ?
Non, mais on va continuer à prier Dieu pour que ça soit le cas.
Même pas pour l’aîné ?
L’année passée, j’ai payé le collège à mon deuxième. L’aîné de 17 ans, lui, est déjà parti de l’école pour aller chercher des petits boulots à Maradi.
S’il se marie bientôt, aura-t-il le droit à une parcelle du champ ?
On ne va pas l’encourager à se marier pour l’instant.
A cause du champ ?
Oui. Les temps ont changé. La priorité pour nos enfants, c’est qu’ils apprennent un métier. Qu’ils aient une source de revenus avant de penser à se marier.
Comment vas-tu faire pour partager 2 hectares de champ entre tes quatorze enfants ?
Je sais, ce n’est pas possible. Ils devront oublier cet héritage.
Tu ne crois pas qu’avoir eu autant d’enfants est un risque pour l’avenir de chacun d’entre eux ?
Peut-être. Mais ce qu’on pense ici, c’est que si tu as un grand nombre d’enfants, tu auras peut-être la chance qu’un ou deux réussissent et s’occupent de toi quand tu seras vieux.
Et pourquoi ne pas faire qu’un ou deux enfants, mais s’assurer de leur réussite ?
Dans mon cas, ce n’est de toute façon plus une option. J’ai vu une fille que j’aimais, je l’ai épousée. Les enfants ne sont que la conséquence de ce mariage. Je ne l’ai pas fait à dessein. On n’avait pas la contraception ni d’information sur l’espacement des naissances. Aujourd’hui, dans le village, la tendance s’inverse. Il y a des enfants de 5 ans qui n’ont toujours pas de petit frère. Les gens commencent à comprendre l’importance du planning familial.
Tes deux épouses ont-elles accouché au centre de santé ?
Avant, il n’y avait pas de centre de santé près d’ici. Donc mes sept premiers enfants sont nés à la maison. Depuis 2008, un centre a ouvert et toutes les femmes du village accouchent là-bas.
Tes épouses sont-elles en compétition pour être celle qui te donnera le plus d’enfants ?
Je sais que c’est souvent le cas. Je ne peux pas dire que ça ne l’a pas été pour elles. C’est possible. Mais, de toute manière, elles ne me le diraient pas. Ma première femme m’a donné huit enfants, la deuxième six.
Tu veux encore d’autres enfants après le quatorzième ?
Oui ! (Rires). Je ne vais pas arrêter, mais, désormais, j’utilise les moyens de contraception, donc ça arrivera moins souvent. On fait des injections contraceptives et pendant deux ou cinq ans, mes femmes ne pourront plus accoucher.
Comment vas-tu faire pour t’en occuper si tu as déjà des problèmes financiers ?
Je ne sais pas. Tout ce que je peux te dire, c’est que je ferai attention à espacer les naissances. Le reste, Dieu décidera.
Le sommaire de notre série « Un combat pour la vie »
Voici, au fur et à mesure, la liste des reportages de notre série d’été à la rencontre des femmes du Sahel. Le voyage va nous mener du Sénégal aux rives du lac Tchad. En tout, 27 épisodes, publiés du 1er août au 2 septembre 2016.
Cet article est un épisode de la série d’été du Monde Afrique, « Un combat pour la vie », qui va nous mener du Sénégal aux rives du lac Tchad, 4 000 km que notre reporter Matteo Maillard a parcourus entre avril et juin 2016.