Il sera question de guerre cette semaine. Vue de loin, certes, mais de guerre quand même. Les sœurs Coulin racontent un retour d’Afghanistan, à travers deux jeunes combattantes de l’armée française, François Ozon remonte plus loin dans le temps, jusqu’aux lendemains douloureux de la première guerre mondiale. Et si l’on passe par le Texas, grâce à l’incursion d’un Ecossais dans le western contemporain, là aussi le sang et les larmes couleront.

C’EST LA GUERRE À LA PLAGE : « Voir du pays », de Delphine et Muriel Coulin

VOIR DU PAYS de Delphine et Muriel Coulin avec Soko et Ariane Labed
Durée : 01:31

Dans un hôtel balnéaire, à Chypre, une section de fusiliers marins de retour d’Afghanistan doit se débarrasser de ses mauvais souvenirs avant de rentrer en France. Commune à beaucoup d’armées occidentales, la pratique du « sas de décompression » fournit à Delphine et Muriel Coulin la matière de leur second long métrage, après 17 filles. Centré sur deux personnages féminins incarnés par Ariane Labed et Soko, Voir du pays examine avec une curiosité dépourvue aussi bien de cruauté que d’indulgence le fonctionnement d’une armée moderne, dans laquelle les femmes sont censées être les égales des hommes. Jouant des contrastes entre la tragédie toute proche dans le temps et le paradis artificiel des vacances méditerranéennes, sur l’opposition entre deux actrices (l’une fonce, l’autre pense), les réalisatrices réussissent un film qui ne ressemble en rien au reste de la production française, à la fois rationnel et bouleversant, analytique et instinctif. Thomas Sotinel

Film français de Delphine et Muriel Coulin avec Ariane Labed, Soko, Karim Leklou, Ginger Roman (1 h 42).

CICATRICES INTÉRIEURES : « Frantz », de François Ozon

Frantz de François Ozon avec Pierre Niney - Bande-Annonce
Durée : 02:03

François Ozon, touche-à-tout, qui n’aime rien tant que mettre son style froid et son regard acide à l’épreuve des formes et des sujets les plus variés, se penche ici sur une pièce de Maurice Rostand, vibrant plaidoyer pacifiste écrit au lendemain de la première guerre mondiale qui fut porté une première fois à l’écran par Ernst Lubitsch en 1932 dans L’Homme que j’ai tué (Broken Lullaby). Et ce avec l’idée d’en détourner radicalement le propos.

Adrien, Français tout juste démobilisé (Pierre Niney), se présente comme un ami de Frantz à la famille de ce jeune Allemand mort au front. Il va ramener de la joie au sein de ce triste foyer en faisant revivre le disparu à travers les récits qu’il fait de leur amitié. Tourné en noir et blanc, Frantz reprend quasiment telles quelles certaines scènes du film de Lubitsch mais, au lieu d’adopter le point de vue du soldat français, se place du côté de la famille allemande. Dans cette histoire vouée à l’origine à prôner la réconciliation entre les peuples, et qu’il prolonge par une partie inventée de toutes pièces, François Ozon s’intéresse à la mécanique de la croyance et de l’aveuglement, à la charge fantasmatique qui s’engouffre dans le non-dit. Malgré la trame ample et romanesque du récit, le souffle mélodramatique est comme étouffé par la mise en scène délibérément distanciée d’Ozon, que redouble la texture glaciale de l’image numérique. Isabelle Regnier

Film français de François Ozon avec Pierre Niney, Paula Beer (1 h 53).

CE PAYS N’EST PAS POUR LES VIEUX : « Comancheria », de David Mackenzie

COMANCHERIA - Extrait #3 (VOST) - Un film de David Mackenzie
Durée : 01:17

Lancé à la poursuite de deux braqueurs de banque, le Texas Ranger Marcus Hamilton, qu’incarne Jeff Bridges pourrait être le cousin du shérif désabusé que jouait Tommy Lee Jones dans No Country For Old Men. Le réalisateur écossais David Mackenzie, qui travaille ici sur un scénario de Taylor Sheridan (Sicario) se garde pourtant bien de marcher sur les brisées de Cormac McCarthy et des frères Coen. Plus soucieux d’inscrire son film dans la réalité des temps, il fait des deux frères hors la loi (joli couple que forment Ben Foster, le dingue, et Chris Pine, le taiseux), des Robin des bois modernes, qui n’attaquent que les succursales de la banque qui détient une hypothèque sur la ferme familiale.

Dans un paysage qui a généré tant de films, de La Prisonnière du désert à celui des Coen, en passant par Géant, le vieux ranger pourchasse les deux desperados, faisant passer la tonalité générale du western au film noir, avec quelques incursions dans la satire sociale. Le plaisir du cinéaste européen à filmer ces cieux gigantesques, cette plaine qui n’en finit pas est palpable et communicatif. T. S.

Film britannique et américain de David Mackenzie avec Jeff Bridges, Ben Foster, Chris Pine (1 h 42).

SUR LES TRACES DE MILLEPIED : « Relève : histoire d’une création », de Thierry Demaizière et Alban Teurlai

RELÈVE : Histoire d'une création - Bande annonce
Durée : 01:32

Produit pour Canal+ qui l’a diffusé en décembre 2015, Relève : histoire d’une création, documentaire sur le chorégraphe Benjamin Millepied tourné pendant son bref passage à la direction de la danse à l’Opéra de Paris, de novembre 2014 à février 2016, n’avait pas été pensé pour le grand écran. Remarqué dans différents festivals, il a cependant fait assez de tapage pour que le cinéma pose sur lui un œil gourmand. Il aurait eu grand tort de s’en priver : l’invitation des réalisateurs Thierry Demaizière et Alban Teurlai à les suivre dans les coulisses de la création du spectacle Clear, Loud, Bright, Forward, jusqu’au soir de la première, est aussi enivrante à l’œil et à l’oreille que passionnante dans le tableau qu’elle dresse de l’institution parisienne.

A l’instar de Benjamin Millepied et de son collaborateur, le compositeur Nico Muhly, les réalisateurs ont voulu introduire dans le film une forme d’inconfort. Dans la musique comme dans le film, la part la plus immédiatement sensible de cet inconfort est rythmique – la partition de Muhly a quelque chose de stravinskien dans sa pensée du rythme. A l’écran, l’équivalent de ce phénomène tient à un jeu de contrastes constamment repensé entre les différentes composantes d’une chronologie rigoureuse : quarante jours, la durée qui sépare la réception de la musique par Millepied de la première représentation du ballet. Au cinéma, certains de ces quarante jours peuvent durer dix minutes, être résumés en 30 secondes, ou éliminés. Demaizière et Teurlai, chassant avec vigueur les brumes de l’enchantement Millepied, rivalisent constamment et harmonieusement d’invention avec le chorégraphe, sans jamais tomber dans le piège du documentaire engoncé dans son désir de devenir piédestal. Noémie Luciani

Documentaire français de Thierry Demaizière et Alban Teurlai (2 heures).

FENÊTRE SUR CORPS : « Propriété privée », de Leslie Stevens (1960)

BANDE-ANNONCE PROPRIÉTÉ PRIVÉE 2016
Durée : 01:42

Voici le film méconnu d’un auteur qui ne l’est pas moins. Mort en 1998, fils d’un vice-amiral de la marine américaine, Leslie Stevens préféra le théâtre aux armes et s’en alla proposer une première pièce au Mercury Theatre d’Orson Welles, qui le prit sous son aile. Bientôt tenté par le cinéma, il est le scénariste d’Arthur Penn avant de réaliser Propriété privée (1960), hors des sentiers battus hollywoodiens, en dix jours, dans sa propre maison de Los Angeles, avec sa propre femme, la belle et déliée Kate Manx. En sa compagnie, deux remarquables acteurs : Corey Allen, dans un rôle de sale type qu’il a inauguré chez Nicholas Ray dans La Fureur de vivre (1955) et Traquenard (1958), et Warren Oates, qui débute ici une carrière que Sam Peckinpah et Monte Hellman vont bientôt rendre incandescente.

Propriété privée peut être vu comme une variation hard-core et marxisante de Fenêtre sur cour, d’Alfred Hitchcock. Débutant comme un road-movie, le film bifurque rapidement vers le huis clos voyeuriste. Au premier plan, deux mauvais garçons, Duke (Allen) et Boot (Oates) qui contraignent un représentant de commerce à suivre une séduisante blonde au volant d’une Corvette. La filature les mène vers une villa des hauteurs de Los Angeles, en face de laquelle une maison vide leur sert de point d’observation. La femme est une bourgeoise entretenue, qui se dessèche auprès de son riche mari, prête à tomber dans les bras du premier venu. Duke entreprend de la séduire en se faisant passer pour un jardinier paysagiste, et la destine comme proie sexuelle à son copain Boot, un impuissant colérique. Tout cela, qui finira très mal en ne satisfaisant que superficiellement la morale puritaine, se révèle d’une séduisante crudité. Tourné dans un noir et blanc phosphorescent dramatisé par les contre-plongées et la touffeur de la Californie, ce film noir vénéneux, qu’on a longtemps cru disparu avant que la Cinémathèque française en retrouve récemment une copie, est donc à redécouvrir. Jacques Mandelbaum

Film américain de Leslie Stevens (1960) avec Kate Manx, Corey Allen, Warren Oates (1 h 20).