Depuis le 30 juillet 2015, Ahmed Abba est privé de sa liberté. Depuis plus d’un an, ce journaliste camerounais, ses avocats et Radio France internationale (RFI), la radio qui l’emploie, dénoncent une détention arbitraire et tentent, d’audience en audience, d’obtenir sa relaxe. Le correspondant en langue haoussa de RFI à Maroua, le chef-lieu de l’Extrême-Nord du Cameroun, est jugé depuis février par un tribunal militaire de Yaoundé pour « complicité d’actes de terrorisme » et « non-dénonciation d’actes de terrorisme ». Des charges d’une gravité extrême dans un pays soumis, dans sa partie septentrionnale, à de régulières attaques de Boko Haram. Le Cameroun est en guerre et Ahmed Abba, après avoir subi des tortures et avoir été enchaîné lors de son premier mois de détention, risque la peine de mort, accusé par les autorités d’intelligence avec l’ennemi. En clair, il lui est reproché de ne pas avoir partagé avec le gouvernement les informations qu’il a recueillies lors de son travail sur les activités du groupe djihadiste.

Reste que, devant un dossier qui a bien du mal à s’étoffer, ces accusations peinent à convaincre et, depuis huit mois, son procès va de renvoi en renvoi. Il y a deux mois, le 3 août, cinq témoins, présentés par le commissaire du gouvernement – l’équivalent d’un procureur militaire – comme ceux qui devaient démontrer la culpabilité du journaliste ne se sont jamais présentés à la barre. En guise de compensation, l’accusation a mis en avant Ben Bidjocka, présenté comme un « expert en cybercriminalité », mais ce témoin était absent à l’audience.

« Impression d’acharnement »

Mercredi 5 octobre, Ben Bidjocka était présent au tribunal, mais les avocats de la défense se sont évertués à retoquer son « travail » et sa nomination. « Il ne remplit pas les conditions pour être un témoin de l’accusation. Le commissaire du gouvernement a commis cet expert après que le tribunal militaire a été saisi, or seul le tribunal peut ordonner une poursuite de l’instruction. Nous avons donc demandé l’annulation de l’acte de commission de l’expert et que son rapport soit déclaré irrecevable », déclare Me Clément Nakong, l’un des avocats de la défense, qui précise que « l’accusation n’a plus de témoin et n’a donc plus de preuve. Nous demandons, en conséquence, la libération d’Ahmed Abba ».

Pour seule réplique, le commissaire du gouvernement a demandé au tribunal la nomination d’un nouvel expert. L’affaire a été mise en délibéré au 19 octobre, date à laquelle les magistrats militaires devraient se prononcer sur les exceptions présentées par les défenseurs du journaliste. L’audience pourrait aboutir à un examen du fond du dossier ou à une relaxe d’Ahmed Abba.

Yves Rocle, l’adjoint à la directrice de RFI, chargé de l’Afrique, veut espérer un dénouement rapide, mais son optimisme demeure prudent : « On a une impression d’acharnement, dit-il. Il n’y a rien dans le dossier mais, à chaque fois, on continue de faire croire que l’on va apporter des preuves. Quand l’accusation parle de complicité, qu’elle nous dise sur quels faits elle se base. Où ? Quand ? »

Le correspondant de RFI dans l’Extrême-Nord du Cameroun est désormais moins seul à la barre. Appuyé depuis son arrestation par son employeur qui a toujours défendu son innocence et avait dépêché cette semaine deux de ses directeurs à Yaoundé, le journaliste a pu constater, mercredi, la présence au tribunal de représentants de l’ambassade de France, de l’Union européenne et de nombreux confrères. Trois autres journalistes camerounais, Félix Ebolé Bola, Rodrigue Tongué et Baba Wamé, sont également poursuivis par la justice militaire de leur pays pour « non-dénonciation d’actes de terrorisme », mais eux comparaissent libres.