A Notre-Dame-des-Landes, habitants et commerçants aspirent « à y voir clair »
A Notre-Dame-des-Landes, habitants et commerçants aspirent « à y voir clair »
Par Yan Gauchard (Nantes, correspondant)
Dépit, colère, doute, résignation… Qu’elle soit favorable ou opposée au projet de nouvel aéroport, la population des communes avoisinant la ZAD fustige l’indécision de l’Etat.
A Notre-Dame-des-Landes, en 2014. | Stephane Mahe / Reuters
« Ça laissera une trace indélébile, cet aéroport. Quelle que soit l’issue du projet, il y aura toujours des aigreurs, des rancœurs entre habitants… » Ce constat, c’est l’un des seuls points sur lesquels s’accordent partisans et opposants du projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes, infrastructure contestée prévue au nord de Nantes (Loire-Atlantique), à la veille du grand rassemblement organisé par les opposants au projet, samedi 8 octobre. Avec cette autre observation, peut-être : le trafic automobile a diminué dans les rues des différentes communes concernées par le projet.
« Il y a plein de personnes qui n’osent plus mettre un pied ici, note un riverain à Notre-Dame-des-Landes qui préfère garder l’anonymat dans le climat de tension qui règne sur la zone. Les gens croient que tout se passe dans le bourg alors que l’opération “César” [nom de code donné à l’intervention des forces de l’ordre ayant échoué à évacuer le site en 2012] a eu lieu en pleine campagne. » « Quand on passe une annonce pour vendre des objets sur Internet, on trappe le nom de la commune, abonde une habitante. Si on précise que l’on habite à Notre-Dame-des-Landes, personne n’appelle, personne ne se déplace. »
« Ça a cassé le village, cette affaire »
« Des clients appellent parfois pour nous demander s’ils peuvent venir, s’ils pourront se garer sans crainte », se désole une restauratrice. Au centre des conversations, invariablement, figurent les zadistes, ces quelque 200 militants anticapitalistes ayant investi le site aux côtés des opposants historiques.
« Ils le veulent, cet aéroport, là-haut, puis ils ne le veulent pas, reprend un client, en désignant les pouvoirs publics. Il faut qu’ils décident une bonne fois pour toutes et qu’on y voie clair, on ne peut plus vivre comme ça. » « Ils ont anéanti le bourg, l’entente entre les gens, à rester à rien faire, dit une pro-aéroport. Il y a des clans. Ça a cassé le village, cette affaire… »
Au cœur du triangle formé par Fay-de-Bretagne, Notre-Dame-des-Landes et Vigneux-de-Bretagne, qui rassemble quelque 11 000 habitants, une boulangère confie avoir « été traitée de collabo pour avoir vendu des viennoiseries à des gendarmes ». Elle ne croit pas à une intervention imminente des forces de l’ordre pour évacuer la ZAD. « Il faudrait mobiliser beaucoup de moyens, il y a sans doute d’autres priorités en ce moment, non ? Si ça se passe mal, et il y a quand même de gros risques pour que cela soit ainsi, les politiques ne récolteront que du négatif. Et s’ils n’agissent pas, c’est pas mieux, avec toutes leurs promesses… »
Ecoutant le ballet d’un hélicoptère de gendarmerie faisant des repérages sur la zone, une commerçante pro-aéroport s’écrie : « J’espère qu’ils vont foncer dedans. On a nous a tellement bassiné avec des promesses, on a tellement été déçus. Le projet est pour l’heure toujours passé en justice, il y a eu le référendum [consultation locale orchestrée en juin sur le département de la Loire-Atlantique] et les 55 % de oui… Les zadistes n’ont rien à faire là, il faut les déloger. On nous oblige à avoir des normes en termes d’hygiène dans nos établissements, d’accessibilité pour les handicapés, on paye nos taxes, nos impôts, et on laisse les zadistes vendre leurs légumes ou monter des commerces comme une conserverie. »
« Les zadistes ne m’enquiquinent pas, répond Régis, boulanger à Vigneux. La cause des opposants, je trouve qu’elle se défend. Ils ne veulent pas lâcher, ils n’ont rien à perdre, ça fait leur force. Après, le fait de squatter des terres gratuitement, c’est un autre débat ». « L’aéroport, c’est un vieux projet qui date de cinquante ans, poursuit-il. Il est à l’image des politiciens finalement. Les années ont coulé, c’est impossible de faire un truc comme ça aujourd’hui. »
50 % de chiffre d’affaires en moins
Le boulanger se souvient de la difficulté de circuler sur les routes durant l’opération « César », en 2012 : « Pendant l’intervention, j’avais une vendeuse qui se faisait contrôler chaque jour. Un coup par les forces de l’ordre, un autre par les zadistes. Et au retour, pareil. » Une commerçante de Notre-Dame-des-Landes dit enregistrer jusqu’à « moins 50 % de son chiffre d’affaires » quand l’actualité propulse la commune sous les feux des projecteurs. Dans une autre enseigne, on relève encore qu’il faudra faire le dos rond si le premier ministre Manuel Valls tient sa promesse d’évacuer la zone cet automne : « Venir dans un bourg où il y a plus de CRS que d’habitants, il faut avoir envie, question ambiance… »
« On appréhende, cela risque d’être un sacré bazar pendant quelque temps s’il y a une opération, au moins en termes de déplacements », énonce une employée de salon de coiffure. « Que l’on soit pour, que l’on soit contre, il faut en finir, conclut un habitant de Notre-Dame-des-Landes. On a besoin de savoir. Et qu’on nous foute la paix ».