Contrôle peu scrupuleux des inscrits, choix imprudent de tarif postal, tâtonnements sur la date du second tour perturbent le scrutin, la primaire écologiste, dont les résultats du premier tour seront connus le mercredi 19 octobre, a suscité bien des interrogations.

Maud : Côté « militants de base » j’ai l’impression que la côte de Jadot est en hausse et que la campagne très « parisienne » de Duflot (casting d’une équipe, médias…) ne prend pas. Mais ce n’est qu’un ressenti éloigné des états majors. Est-ce qu’il y a une tendance qui se dégage ?

Raphaëlle Besse Desmoulières : Difficile de dire si une tendance se dégage. Le vote est ouvert aux sympathisants, et plus de 10 000 personnes se sont inscrites (en plus des 7 000 adhérents revendiqués par EELV). Ce doublement du corps électoral modifie considérablement un vote qui n’aurait été que militant. Qui sont les sympathisants ? Pour qui vont-ils voter ? Nous savons juste où ils se trouvent. Avec l’un de mes collègues, nous avions récupéré auprès d’EELV les données géographiques des inscrits qui nous avaient permis de réaliser une carte.

Jean : Bonjour, quel est l’intérêt pour un parti d’organiser une primaire alors qu’il ne réunit la plupart du temps que quelques pourcents des suffrages aux élections ?

Raphaëlle Besse Desmoulières : L’organisation d’une primaire est dans les statuts d’EELV. A partir du moment où plusieurs personnes sont candidates, c’est le seul moyen de les départager. Pour cette édition 2016, ils sont quatre à avoir rempli les conditions fixées par le parti : la députée de Paris Cécile Duflot, et trois élus européens, Karima Delli, Yannick Jadot et Michèle Rivasi. En 2011, c’était aussi lors d’une primaire qu’Eva Joly avait battu Nicolas Hulot. En 2006, Dominique Voynet s’était imposée face à Yves Cochet et en 2001, Noël Mamère avait affronté Alain Lipietz.

Gérard : Pourquoi si peu de couverture médiatique par rapport aux autres primaires ? Les chaînes publiques n’auraient-elles pas pu organiser un débat également ?

Raphaëlle Besse Desmoulières : C’est vrai que la primaire écolo mobilise moins que les autres primaires. Le corps électoral n’est pas le même — quelque 17 000 personnes. Il s’agit d’un vote par correspondance. A titre d’exemple, la primaire de la droite se tiendra dans des bureaux de vote physiques et entre 2 et 3 millions d’électeurs sont attendus. La médiatisation est en conséquence. Deux débats ont cependant été organisés à la télévision avant le premier tour : le premier sur LCP-Public Sénat, le second sur BFM-TV. Pour ce deuxième débat, les écolos ont pu s’exprimer pendant deux heures sur la chaîne d’infos en continu.

Miaou : Les chats sont-ils nombreux à pouvoir payer 5 euros et faire les démarches d’inscription ? Plus sérieusement, quelle pourrait être la proportion de « chats » et en quoi cela pourrait-il affecter les résultats ?

Raphaëlle Besse Desmoulières : C’est difficile à dire et rien ne prouve qu’il y ait de la triche. L’article en question visait juste à montrer qu’inscrire un électeur fictif était possible à partir du moment où l’on ne demande pas de preuve d’identité. EELV explique qu’un contrôle s’effectue a posteriori : une même carte bancaire ne peut pas servir plus de deux fois et pas plus de quatre bulletins de vote étaient envoyés à la même adresse. Cela ne m’a pas empêché d’inscrire le chat de ma collègue, et le site Buzzfeed de faire voter Bruno Lemaire et Bob Lesumo. En 2011, pour la primaire Hulot-Joly, la photocopie d’un document d’identité était exigée pour pouvoir voter. Pourquoi EELV n’a-t-il pas demandé la même chose à ses électeurs de 2016, prenant ainsi le risque de mettre en cause la sincérité de son scrutin ?

PL : A-t-on déjà eu des surprises par le passé aux primaires EELV ? Comme la victoire ou le très bon score d’un candidat méconnu. Je pense cette année à Karima Delli ou Michèle Rivasi qui semblent être moins exposées médiatiquement mais pourraient avoir les faveurs des électeurs.

Raphaëlle Besse Desmoulières : Les surprises font désormais partie intégrante des primaires écolos. Celle de 2011 en est un bon exemple : Nicolas Hulot était archi-favori mais Eva Joly l’a finalement emporté. Elle est même passée près de la victoire dès le premier tour. En 2006, même histoire. Dominique Voynet était quasi sûre de gagner face à Yves Cochet. Ce fut le cas mais au terme d’un nouveau vote. Idem en 2001. Contre toute attente, Noël Mamère est battu par Alain Lipietz. Ce qui ne l’a pas empêché d’être le candidat des Verts en 2002 après le retrait d’Alain Lipietz. Et de réaliser le meilleur score jamais obtenu par un Vert à la présidentielle, 5,25 % des voix.

Axel : Bonjour, quelle est aujourd’hui la différence en termes de programme écologie entre EELV et Jean Luc Mélenchon ?

Raphaëlle Besse Desmoulières : Depuis plusieurs années maintenant, Jean-Luc Mélenchon a opéré une véritable mue sur l’écologie, se rapprochant des positions historiques des écolos. Lui-même, par le passé, a reconnu l’apport de ces derniers dans l’écologie politique. En 2012, son alliance avec les communistes avait abouti à des compromis sur l’écologie, notamment sur la question de la sortie du nucléaire. Désormais, étant parti seul à la présidentielle, il peut dérouler son programme comme il le souhaite et a mis le paquet sur l’écologie pour séduire les électeurs déçus par EELV. Dimanche encore, son discours à Saint-André-Les-Lille, dans le Nord, l’a montré.

Lundi matin, David Cormand, le numéro un d’EELV, a dit accueillir « avec beaucoup de bonheur » ce virage vert. Mais il a aussi rappelé que de nombreux points séparaient son parti du candidat de La France insoumise. « Sur la forme, moi je ne suis pas convaincu par ce côté tribunicien, un peu bonapartiste, il faut le dire, très incarné, très solitaire du pouvoir. Je crois plutôt à l’horizontalité et au partage des responsabilités et du pouvoir, a-t-il expliqué. Et puis sur le fond, il y a des divergences, y compris sur l’écologie. Par exemple M. Mélenchon parle de l’économie de la mer. Moi, je pense que l’océan, la mer, c’est avant tout un espace de biodiversité, ce n’est pas un territoire économique à conquérir. » La question européenne sépare aussi M. Mélenchon des écologistes. Même si leur positionnement est plus critique qu’auparavant, ces derniers restent des fédéralistes convaincus quand le fondateur du Parti de gauche prône désormais une « sortie des traités européens ».

Raphaël : Pensez-vous que si Cécile Duflot remporte les primaires écolo, elle puisse ensuite se présenter aux primaires organisées par le PS ?

Raphaëlle Besse Desmoulières : Cela me paraît très compliqué. Si Cécile Duflot a d’abord défendu la primaire de toute la gauche telle que proposée par Daniel Cohn-Bendit et Thomas Piketty en janvier, elle a vite changé d’avis devant la fronde de son parti. Les écolos sont désormais très critiques de l’action des socialistes et de celle de François Hollande en particulier. Au dernier congrès d’EELV, qui s’est tenu en juin à Pantin, en Seine-Saint-Denis, quatre des cinq motions en lice pour le premier tour étaient d’accord sur un point : pas d’alliance avec le PS aux prochaines élections. Un changement de cap est toujours possible mais risquerait de fragiliser encore un peu un parti qui termine le quinquennat très affaibli.

Patrick : Nous avons entendu des débuts de polémiques quand à l’utilisation de base de données externe à EELV de la médiatique directrice de campagne de Cécile Duflot ? Qu’en est t-il ? Comment est vécue son irruption au sein d’EELV par les historiques et concurrents de Cécile Duflot ?

Raphaëlle Besse Desmoulières : Je n’ai pas d’information à ce sujet. Une chose est sûre : Caroline De Haas est une belle prise pour Cécile Duflot. Avoir de son côté celle qui a réussi à faire signer plus d’un million de personnes contre la loi El Khomri est un atout. Cette militante féministe a des réseaux puissants, ce qui est toujours un plus pour recruter de nouveaux venus. Elle est aussi d’une redoutable efficacité. En interne, son arrivée a été diversement appréciée. Caroline De Haas n’est pas de la « famille » écolo, mais surtout certains ont regretté que Cécile Duflot recrute une directrice de campagne alors qu’elle n’est pour l’instant que candidate à la primaire, donnant ainsi l’impression de vouloir enjamber cette désignation.

Benoît : Dans l’hypothèse d’un second tour Duflot-Jadot, y-a-t-il des signaux ou déclarations tangibles qui montreraient que les voix portées sur K. Deli et M. Rivasi se reporteraient plus massivement sur lui que sur Cécile Duflot ?

Raphaëlle Besse Desmoulières : A moins d’une grosse surprise (ce qui n’est pas non plus impossible), cette hypothèse est en effet probable. Mais anticiper les reports de voix n’est pas facile. Plusieurs paramètres entrent en jeu : que vont faire les candidat(e) s battu(e) s ? Donner une consigne de vote ? Leurs électeurs les suivront-ils ? Michèle Rivasi, elle, a déjà dit qu’elle n’appellerait à voter pour personne si elle n’accédait pas au second tour. On pourrait penser que les électeurs qui l’ont choisie se reporteront plus facilement sur Yannick Jadot, qui a un profil plus proche du sien que Cécile Duflot. Mais rien ne dit que ce soit le cas, d’autant que la députée européenne entretient des relations compliquées avec Yannick Jadot. Idem pour Karima Delli, qui a reçu ses soutiens quasi-exclusivement de la motion qu’elle soutenait au dernier congrès et qui a beaucoup critiqué la gestion de Cécile Duflot à la tête du parti. Mais pour beaucoup, Yannick Jadot incarne l’aile droite du parti et voter pour lui sera compliqué.