Les démineurs en première ligne de la bataille de Mossoul
Les démineurs en première ligne de la bataille de Mossoul
Par Hélène Sallon (Plaine de Ninive (Irak), envoyée spéciale)
Les unités de déminage jouent un rôle essentiel dans la guerre contre l’organisation Etat islamique, qui s’est spécialisée dans les pièges mortels. Sans elles, l’assaut ne peut pas commencer.
Quelques kilomètres avant l’entrée de la ville chrétienne de Bartella, à 25 kilomètres à l’est de Mossoul, le convoi de Humvees noirs ornés de drapeaux irakiens de la Division d’or – les forces antiterroristes – s’arrête sur le bas-côté, en ce dimanche 23 octobre. Le major Salam Jassem Hussein descend du véhicule de tête avec trois démineurs, suivis d’une dizaine d’hommes. Ils envisagent une petite route qui part sur la droite jusqu’au mont Zardik, au nord. D’ici, ils lanceront bientôt l’offensive en direction de Mossoul. Un talus de terre bloque l’entrée de la route, peut-être encore truffée d’engins explosifs improvisés.
Vêtus de bas de treillis et de t-shirts noirs, les démineurs s’avancent seuls à pied sur l’asphalte. Les canons des Humvees se positionnent en direction de l’ouest, vers la vaste plaine où des combattants de l’organisation Etat islamique (EI) sont encore terrés dans des habitations parsemées. Les trois hommes avancent lentement, les yeux rivés au sol et les mains dans le dos, totalement exposés à l’ennemi. Un renfoncement dans la chaussée éveille leurs soupçons. Ils l’appréhendent sous tous les angles, cherchent les indices visibles à l’œil nu. L’un d’eux pose une charge au sol et allume la mèche. L’alerte est donnée : « Bombe ! ». Le cri se diffuse d’un Humvee à l’autre. Les trois démineurs ont entamé un sprint pour venir se terrer avec les soldats derrière les véhicules.
Dans le quatrième véhicule, le mitrailleur Ahmed « Bullet » sort son téléphone pour filmer. Hassan, à la double casquette de tireur de RPG et de secouriste, se prépare, index dans les oreilles, bouche ouverte. L’explosion retentit. Un champignon de fumée et de poussière s’élève vers le ciel. Celui-ci aussitôt dissipé, les trois démineurs reprennent leur travail, posant une deuxième puis une troisième charge sur ce pan de chaussée. Il leur faudra près d’une heure pour vérifier le kilomètre de route qui mène aux premières maisons.
Les mines, « signature » de l’EI
En sueur, Maan, un démineur de 24 ans, prend la canette de Red Bull que lui tend un soldat. La première partie de leur mission s’est déroulée sans encombre. Le jeune homme est visiblement satisfait. Que ressent-on ainsi, seul en première ligne ? « Ça fait trois ans que l’on fait ça, on a l’habitude. C’est une bataille entre moi et l’EI. L’un de nous doit gagner. Je m’en remets à Dieu qui sait que je suis du bon côté. » En trois ans, l’unité de démineurs de l’armée irakienne détachée auprès des forces antiterroristes n’a enregistré aucune perte. « Je n’ai eu que deux blessés parmi mes hommes », se félicite le capitaine Sofiane Walid, un jeune homme frêle et posé de 28 ans, qui dirige une unité de quatorze hommes. Il le sait mieux que quiconque : « C’est un travail où l’erreur n’est pas permise. »
Face à un ennemi comme l’EI, qui a fait des mines et des explosifs sa « signature », le déminage est l’une des clés de la bataille. Sur le front, ce sont les démineurs qui ouvrent la route aux combattants. Les djihadistes le savent. « Pour ralentir la progression des forces antiterroristes, ils nous ciblent en priorité car sans nous, la colonne ne peut plus avancer », explique le capitaine Sofiane. Ses hommes sont la cible des snipers. Pour se fondre dans la masse, ils portent donc l’uniforme de l’unité d’élite. Quand ils sont trop exposés à l’ennemi, le bulldozer qui ouvre la colonne vient se placer à leurs côtés pour qu’ils puissent travailler à couvert.
Sofiane Walid, capitaine de l’unité de démineurs de l’armée irakienne
« On est en danger à tout instant, mais au fil des ans, on a appris la patience et leur façon de faire. Ce que je fais est vraiment utile pour mon pays. Beaucoup de gens sont morts à cause des engins explosifs improvisés », raconte le sergent-capitaine Saif Ali Thamer, 30 ans, qui a choisi ce métier pour marcher dans les pas de son père. Il garde toujours sur lui un petit Coran et des prières écrites sur des bouts de papier par des proches. Il croit aussi beaucoup en l’expérience qu’il a acquise pendant la guerre. « Je sais où les engins explosifs improvisés peuvent être. Mais, ils ont des mécanismes d’activation très variés – par laser, au toucher, au poids, à distance… – et cherchent toujours de nouvelles astuces. On s’attend donc toujours au pire avec eux », explique le capitaine Sofiane.
Il se prépare à affronter un « véritable feu d’artifice » aux abords de Mossoul. « Dans la ville, ça n’est pas intéressant pour eux de planter trop d’explosifs. Ça peut se retourner contre eux », poursuit-il.
Les hommes du capitaine Sofiane ne sont pas encore dans le plus dur de leur mission. Dans les maisons qu’ils explorent à quelques kilomètres de Bartella, Maan et ses deux collègues ont découvert dix jerricans de C4 entreposés. Les djihadistes les ont abandonnés dans leur fuite. L’opération de neutralisation est une formalité. Les jerricans chargés sur le toit d’un Humvee, ils partent à travers champ, les déposer à plusieurs centaines de mètres. Leur puissance cumulée peut souffler un immeuble, voire davantage. Le détonateur est posé. Les hommes de la Division d’or se réfugient à nouveau derrière les Humvees, qui disparaissent bientôt sous un nuage de fumée jaune.