Après avoir frayé avec le banditisme francilien, s’être introduit au cœur de la chiraquie, profitant de contacts privilégiés comme le diplomate Maurice Gourdault-Montagne, « Monsieur Alexandre », comme il aime à se faire appeler, est parvenu à devenir un interlocuteur incontournable du pouvoir sarkozyste comme des états-majors de plusieurs grands groupes industriels, EADS, Veolia ou Dassault.

Ses manières de canaille distinguée, amateur de grands crus, ont séduit au plus haut niveau de l’Etat. Le secrétaire général de l’Elysée Claude Guéant est lui aussi tombé sous le charme d’Alexandre Djouhri. « Il est très séduisant », reconnaîtra même celui-ci, qui l’a rencontré en 2006 quand il dirigeait le cabinet du ministre de l’intérieur Nicolas Sarkozy. Devant les magistrats, M. Guéant dira : « Je le connais assez bien, mais je ne sais pas exactement ce qu’il fait. Je crois que c’est un apporteur d’affaires. »

Nicolas Sarkozy, selon ses agendas saisis par la justice, l’a rencontré à deux reprises, en mars et en avril 2007, alors qu’il n’est encore que ministre de l’intérieur, puis à neuf reprises jusqu’en février 2010. Les deux hommes se connaissent depuis 1986, selon M. Djouhri, et leurs relations n’ont jamais cessé. Sous le quinquennat de Nicolas Sarkozy, « Monsieur Alexandre » mène grand train, tient salon au Bristol et veut « tout voir en grand ».

« Agent officieux » de l’Elysée

Avec son bagou redoutable, son entregent sans pareil, il n’hésite pas à rudoyer ses interlocuteurs en se revendiquant de ses amis, « Nicolas » (Sarkozy) ou « Dominique » (de Villepin). A l’étranger, il se présente comme « agent officieux » de l’Elysée et assure être lié par le sang au président algérien Abdelaziz Bouteflika. Au faîte de sa gloire, entre 2007 et 2012, il est devenu l’interlocuteur privilégié de gros contrats dans la péninsule arabique, en Russie et surtout en Afrique du Nord.

Mais, au début de l’année 2013 – alternance politique oblige –, son étoile a commencé à pâlir et ses protections politiques se sont fragilisées. Il est toutefois resté proche de l’ancien chef de l’Etat. Un jour, il lui conseille un restaurant japonais à la mode, une autre fois il lui suggère quelques lectures. En janvier 2015, il invite Nicolas Sarkozy à se rendre à l’anniversaire surprise de Claude Guéant, organisé par sa fille pour ses 70 ans. « Je t’embrasse », conclut-il souvent ses échanges. Le 20 janvier 2015, Alexandre Djouhri n’hésite pas à presser l’ancien chef de l’Etat d’intervenir pour lui décrocher rapidement un rendez-vous avec Vladimir Poutine. « Parlons en demain, hein ? », répond, prudent, Nicolas Sarkozy, qui se croit sur écoutes.

Alexandre Djouhri peut aussi compter sur la bienveillance de son « ami » Bernard Squarcini, ancien patron des services de renseignement intérieur (DCRI) de l’époque, avec qui les liens ne se sont jamais distendus. Reconverti dans le privé, l’ex-policier récemment mis en examen pour trafic d’influence, violation du secret de l’enquête, compromission et entrave aux investigations dans un autre dossier, l’appelle affectueusement « bandit » au téléphone. Le 22 avril 2015, il lui propose par exemple une affaire « balancée » par un « ami » de Londres portant sur la vente de deux champs de pétrole au Kazakhstan. L’occasion, selon Bernard Squarcini, de permettre à chacun de « prendre sa com ». Lors des perquisitions chez l’ancien patron de la DCRI, les policiers ont retrouvé de nombreuses notes de divers services de renseignement sur Alexandre Djouhri. Contacté à plusieurs reprises, Alexandre Djouhri n’a pas donné suite.

Trois jours de révélations sur le système Sarkozy

Le Monde révèle, au cours de trois publications successives, l’existence d’un vaste système délictueux, impliquant de hautes personnalités liées à Nicolas Sarkozy. Ce réseau, (dé)voué à la protection de l’ancien chef de l’Etat, est composé de policiers ou magistrats restés fidèles à l’ex-président, mais aussi d’hommes d’affaires, d’intermédiaires, de diplomates et même de journalistes. Une structure informelle qui apparaît aujourd’hui en pleine lumière, à la faveur de plusieurs enquêtes judiciaires, toutes conduites par le juge parisien Serge Tournaire, et auxquelles Le Monde a eu accès - en sus de nos propres investigations.

Elles mettent en lumière les dessous d’une organisation mise en place dès l’arrivée de Nicolas Sarkozy au ministère de l’intérieur, en 2002, renforcée lors de son accession à l’Elysée en 2007, et qui s’est perpétuée après sa défaite en 2012.