« Les sondages sont des ressorts essentiels de la dramaturgie des campagnes électorales »
« Les sondages sont des ressorts essentiels de la dramaturgie des campagnes électorales »
Gérard Courtois, éditorialiste au « Monde », a répondu aux questions des internautes après la publication de notre huitième vague d’enquête électorale menée par le Cevipof et réalisée par Ipsos-Sopra Steria.
Gérard Courtois, éditorialiste au Monde, a répondu aux questions des internautes après la publication de notre huitième vague d’enquête électorale menée par le Cevipof et réalisée par Ipsos-Sopra Steria.
Jacques : Comment peut-on mesurer l’impact des sondages sur les électeurs ? Grâce à d’autres sondages ?
Gérard Courtois : En période de campagne électorale, les sondages d’intention de vote sont une drogue dure qui rend fou tout le monde ! Les candidats d’abord, qui se disent tous vaccinés par ces enquêtes mais qui sont totalement accros au moindre changement enregistré ; les médias qui, soit affichent leur scepticisme, soit se laissent impressionner par la magie des chiffres. Les sondeurs eux-mêmes pour qui ces enquêtes représentent une très faible part de leur chiffre d’affaires mais une vitrine prestigieuse. Enfin, les électeurs qui soupçonnent volontiers tout le monde de manipulation mais ne sont pas les derniers à suivre l’évolution des sondages comme des pronostics de course hippique.
Cet engouement n’est pas surprenant : qu’on le veuille ou non, les sondages sont devenus des ressorts essentiels des campagnes électorales et de leur dramaturgie.
Leo76 : Je n’arrive pas à comprendre comment vous pouvez publier des enquêtes sur un corps électoral que personne ne connaît…
Les primaires ouvertes étant une procédure nouvelle (le seul précédent est celui de la primaire socialiste de 2011), les instituts de sondages ont dû explorer une méthodologie spécifique. Dans le cas de l’enquête électorale du Cevipof à laquelle Le Monde est associé, nous avons choisi – ce qui représente des moyens considérables – de constituer un panel de plus de 20 000 électeurs, que nous suivons depuis décembre 2015 et jusqu’en juin 2017.
Un échantillon aussi important, sans précédent en France, nous a permis d’isoler plus de 1 300 électeurs qui se déclarent certains d’aller voter à la primaire de la droite. Cela constitue un échantillon supérieur aux échantillons nationaux habituellement utilisés. L’expérience de la primaire socialiste en 2011 a démontré que les résultats du vote avaient été conformes, pour l’essentiel, aux intentions de vote exprimées dans nos sondages.
PaulineD : Le nombre de personnes qui iront voter à la primaire de la droite est évidemment bien inférieur à celui des votants pour la présidentielle. Comment les instituts de sondage peuvent prévoir ce qui va se passer ? Quel échantillon utilisent-ils ?
Il faut d’abord rappeler des éléments essentiels pour tout sondage. Si vous allez sur le site d’Ipsos pour consulter l’enquête que nous publions jeudi 17 novembre, commencez par lire les deux pages de la fiche technique. Elle donne beaucoup d’indications qui permettent ensuite d’analyser les résultats de manière plus sérieuse.
D’abord l’échantillon : il est au total de 18 200 personnes, dont 1 337 certaines d’aller voter à la primaire. Ensuite, cette enquête a été réalisée du 8 au 13 novembre, c’est-à-dire avant le débat de ce soir entre les candidats et avant la déclaration de candidature de Macron. Ces deux événements peuvent évidemment peser dimanche 20 novembre sur le choix des électeurs. Troisième indication : la méthode. Quatrième indication : une note précise d’Ipsos sur les marges d’erreur inhérente à tout sondage. Ces marges sont précisées en fonction de la taille de l’échantillon : avec 1 300 personnes interrogées (pour la primaire de la droite) la marge d’erreur est de l’ordre de 2 % ; sur un échantillon de 18 000 sondés elle est inférieure à 1 %.
Gg : Par expérience, il y a une chose dont on peut être à peu près sûr à propos d’un sondage, c’est au mieux qu’il se trompe, ou le plus souvent qu’il trompe. C’est en effet un outil de manipulation puissant, d’où son attrait pour les politiques en campagne. La grande voracité financière des instituts qui feront forcément payer plus cher un sondage arrangeant voire arrangé serait-elle en cause ?
Il y a énormément à dire sur cette question car la polémique est systématique à chaque élection. Le premier constat est que l’on se souvient volontiers de quelques erreurs manifestes lors des précédents scrutins (en particulier en 1995 et 2002) mais que l’on oublie tout aussi volontiers l’ensemble des scrutins – je n’évoque là que les scrutins nationaux – pour lesquels les indications des sondages ont été très proches du résultat. Cela a été le cas à l’évidence en 2007 et en 2012.
Personnellement, je ne pense pas que les sondages soient des outils de manipulation. Ils sont au contraire de précieux outils d’analyse et de compréhension des comportements et des choix électoraux. En faire des instruments de manipulation renvoie à une conception assez méprisante de l’électeur : ce serait un être faible, moutonnier, influençable, et pour tout dire un peu débile qui ne serait pas capable de se construire un jugement avec toutes les informations dont il dispose : la campagne elle-même, ses débats, ses projets, ses déclarations, le travail des médias (enquêtes, reportages, analyses…) et les sondages.
Raphael : Un scénario à la Trump, où les sondages se trompent, est-il possible en France ?
Ça me parait peu vraisemblable. Les sondages américains se sont à l’évidence lourdement trompés. Mais les différences entre les Etats-Unis et la France sont nombreuses : un système électoral beaucoup plus complexe, un vote national beaucoup moins marqué et différencié selon les Etats, une participation électorale beaucoup plus faible que lors des présidentielles françaises (54 % contre plus de 80 %). Enfin, il y a dans l’élection de Trump un facteur politique qui est totalement inédit : la candidature puis l’élection d’un candidat sans aucun parcours politique antérieur et sans attaches partisanes.
L’hypothèse que la candidate du Front national Marine Le Pen bénéficie d’un même effet de surprise est peu envisageable : son parti est installé depuis trente ans, elle-même a déjà été candidate en 2012, elle a enregistré depuis trois ans des succès électoraux importants dans les scrutins européens, départementaux et régionaux. Enfin, s’ils ont longtemps été difficiles à cerner, les électeurs qui ont l’intention de voter pour le FN le déclarent désormais beaucoup plus volontiers. Cela n’empêche pas la progression du FN mais celle-ci ne serait pas une surprise.
Benjamin : Quelle est l’utilité de faire des sondages sur la présidentielle plus de deux ans avant la date d’élection ? Cela ne ferme-t-il pas automatiquement la liste des candidats en surexposant les éternels mêmes candidats sur lesquels portent les sondages ?
Vous avez parfaitement raison ! Sonder sur une présidentielle deux ans avant n’a pas beaucoup d’autre intérêt que d’entretenir à l’avance un faux suspense. En revanche, une campagne présidentielle commence à se dessiner dans l’année qui précède, comme on le voit actuellement avec la primaire de la droite qui s’est engagée depuis plusieurs mois.
Les sondages sont d’autant plus intéressants que l’on s’approche du scrutin et en particulier pendant la campagne elle-même qui est le moment où se cristallisent les intentions des électeurs. Pour une présidentielle, cela porte sur les trois mois qui précèdent le premier tour quand l’offre politique se précise, quand les candidats se déclarent, quand les projets sont exposés et quand le débat s’engage. Pendant la pré-campagne, c’est-à-dire en ce moment, les intentions de vote présidentielles indiquent essentiellement un rapport de force général entre les principaux candidats et partis.
JBai : Les sondages d’opinion, commandés puis utilisés par les mêmes médias, ne cherchent-ils pas à influencer les intentions de vote des électeurs ? Je fais référence au candidat Macron qui bénéficie d’une couverture médiatique élogieuse, quand d’autres candidats comme Mélenchon, par exemple, sont délégitimés médiatiquement…
Pour ce qui est de Macron et Mélenchon, ils sont traités en matière de sondage exactement de la même manière. Depuis six mois, dans notre enquête avec le Cevipof, nous observons et nous pointons la progression régulière du vote en faveur de Jean-Luc Mélenchon, qui est passé de 9 % à 14 % d’intentions de vote et qui devance désormais François Hollande si celui-ci se présente. Quant à Macron, dès lors qu’il a esquissé et maintenant annoncé sa candidature, il est normal que nous soumettions son nom aux personnes interrogées. Qu’il bénéficie actuellement d’un effet de curiosité et de nouveauté est indéniable. Cela ne préjuge en rien de la suite des événements.
Quant à l’hypothèse que nous cherchions à influencer le vote des électeurs, elle est, pardonnez-moi, absurde. Ou alors en tant que média, il faudrait renoncer à tout commentaire sur une élection car cela aussi est de nature à influencer nos lecteurs et les électeurs. Les sondages comme le travail des médias font partie des outils que les citoyens peuvent utiliser à leur guise !
Clément : Pourquoi les journalistes et les politiques se concentrent autant sur les chiffres de chaque sondage ? Ces quinze dernières années, il a été prouvé que c’est la tendance des dernières semaines et des derniers jours qui pouvait aider à prévoir le résultat final ?
Il est essentiel de ne jamais oublier que c’est la campagne qui fait l’élection. Et toute campagne, presque sans exception, comporte son lot de surprises. Il est en outre exact que les électeurs se décident de plus en plus tard (désormais dans les derniers jours pour un quart d’entre eux).
Ils sont également de plus en plus zappeurs, soit au sein d’une même famille politique, soit en sautant les frontières. Du coup, les électeurs sont de plus en plus sensibles au film de la campagne, à ses rebondissements et à sa dramaturgie.