L’« affaire » Volkswagen, déclenchée il y a un an par la révélation d’une tricherie gigantesque sur les émissions de ses moteurs diesel, n’en finit pas d’ébranler le premier industriel allemand. Jusqu’aux fondements mêmes d’un modèle qui a fait la gloire de l’Allemagne sur la scène mondiale ces dix dernières années. En annonçant la suppression, d’ici à 2020, de 30 000 emplois dans le monde, dont 23 000 en Allemagne, le constructeur automobile prend d’abord acte du coût du « dieselgate », pour lequel il a déjà provisionné 18,2 milliards d’euros. Il lui faut désormais faire des économies, et beaucoup. Le plan en prévoit 3,7 milliards par an, dont plus de la moitié proviendra des emplois détruits.

Pour ne pas désespérer syndicats et politiques, la société prend soin de parler également d’investissement. Comme si le scandale lui avait soudain ouvert les yeux sur la nécessité d’accélérer la transition vers la voiture électrique, nouveau Graal de toute la filière automobile mondiale. Le groupe promet 3,5 milliards d’euros d’investissements, une nouvelle usine de batteries et 9 000 embauches. Face aux 23 000 postes en moins, le compte n’y est pas : c’est une première en Allemagne.

Car, au-delà de l’accélération de la transition technologique, cette affaire sonne le glas de deux idées bien établies. La première est que le site Allemagne est un modèle de productivité et la seconde que l’industrie reste la locomotive de l’emploi outre-Rhin. Depuis plusieurs années, les analystes soulignaient le décalage croissant entre les performances de Volkswagen et celles de ses concurrents. Avec 600 000 emplois dans le monde, l’entreprise fait travailler deux fois plus de salariés que Toyota, pour fabriquer le même nombre de voitures. Et la marge bénéficiaire de la seule marque VW est quatre fois plus faible que celle du japonais. Jusqu’à présent, cette contre-performance, largement due aux usines allemandes, était masquée par la forte rentabilité de ses marques haut de gamme Audi et Porsche et par les ventes en Chine, à des prix bien plus élevés qu’en Occident.

Le ralentissement du marché chinois, qui se fait au détriment des constructeurs étrangers, change la donne. C’est la raison pour laquelle l’objectif affiché est de porter la marge opérationnelle de la marque Volkswagen de 2 % à 4 %, ce qui reste encore largement inférieur aux performances visées par ses concurrents directs, comme Renault ou PSA. Mais, pour parvenir à ce résultat modeste, la firme de Wolfsburg devra tout de même faire progresser la productivité de ses usines de près de 25 %. L’effort pèsera donc, pour la première fois de son histoire, en priorité sur les salariés allemands.

Cette décision marque aussi la fin d’un âge d’or où l’Allemagne était montrée en exemple pour la vigueur de son tissu industriel, générateur d’emplois en masse. Volkswagen a accru ses effectifs de quelque 100 000 personnes ces cinq dernières années. Les fameuses réformes de 2003 et 2005, qui ont flexibilisé le marché du travail et débloqué la machine à embauches, étaient taillées sur mesure pour faire porter l’effort de productivité, et de bas salaires, sur les services plutôt que sur les salariés de l’industrie. Peter Hartz, à l’initiative de ces textes, n’était autre que l’ancien directeur du personnel de… Volkswagen. Mais le secteur industriel, s’il reste un formidable créateur de richesse, n’est plus capable de fabriquer des emplois en masse. Pour l’icône Volkswagen, une page se tourne.