Les Indiens peuvent encore se procurer des billets de 2 000 roupies (un peu plus de 27 euros) mais cette grosse coupure est quasiment inutilisables pour la vie quotidienne. | NARINDER NANU / AFP

Jeter au panier 24 milliards de billets de banque peut-il avoir un impact sur l’économie d’un pays ? Telle est la question qui agite l’Inde, un peu plus de deux semaines après la démonétisation brutale des coupures de 500 et 1 000 roupies (6,90 et 13,80 euros) décidée par le premier ministre, Narendra Modi. Il suffit de voir les rideaux de certains magasins baissés ou d’observer la mine des artisans et des commerçants pour avoir la réponse : la disparition de 80 % de l’argent liquide en circulation est, momentanément, une vraie catastrophe.

Il faut dire que la banque centrale a été incapable de fabriquer les nouvelles coupures dans les temps. Les distributeurs automatiques restent en rade et la population fait la queue au guichet pour récupérer un malheureux billet de 2 000 roupies (27,60 euros), fraîchement imprimé et quasiment inutilisable, personne n’étant en mesure de rendre la monnaie sur une telle somme.

« Aucun effet sur l’argent sale »

Le chef de l’exécutif, qui se régalait jusqu’ici de voir la croissance indienne dépasser la croissance chinoise, a pris le risque de voir le produit intérieur brut encaisser un sacré coup de frein. L’agence de notation Fitch, prudente, s’attend à un « faible » troisième trimestre pour l’exercice fiscal en cours qui s’achèvera au 31 mars, dans la mesure où les approvisionnements sont perturbés et les fermiers dans l’incapacité d’acheter des semences pour leurs cultures d’hiver. Les analystes de Goldman Sachs, eux, sont plus pessimistes. Ils prévoyaient un bond du PIB de 7,9 % cette année, ils ne parient plus désormais que sur 6,8 %.

La démonétisation est d’autant plus malheureuse qu’elle n’aura « aucun effet sur l’argent sale et la fausse monnaie », assure l’ancien ministre des finances Palaniappan Chidambaram. La situation est en tout cas jugée suffisamment alarmante pour que le très discret Manmohan Singh, premier ministre de 2004 à 2014, ait fini par hausser le ton. « La façon dont la mesure a été mise en place est une énorme erreur de gestion et constitue un cas de saccage organisé », vient-il de déclarer devant la Rajya Sabha. Largement applaudi dans cette Chambre haute du Parlement où l’opposition est majoritaire, il a affirmé que la démonétisation pourrait coûter deux points de croissance à l’Inde. En décalage total avec le Fonds monétaire international qui, quelques jours plus tôt, saluait la décision de M. Modi de combattre ainsi « la corruption et les flux financiers illicites ».

Stéphane Picard