Pourquoi les Suisses ont dit « non » à une sortie rapide du nucléaire
Pourquoi les Suisses ont dit « non » à une sortie rapide du nucléaire
Par Marie Maurisse (Genève, correspondance)
Les électeurs ont rejeté dimanche 27 novembre la proposition des Verts de tourner le dos à l’atome. Mais la question du démantèlement du parc nucléaire vieillisant helvète reste entière.
La centrale nucléaire de Leibstadt, dans le Nord de la Suisse | FABRICE COFFRINI / AFP
Les Suisses n’ont pas peur de leurs centrales nucléaires. En tout cas pas assez pour exiger leur fermeture d’ici 2029. Les Helvètes ont été 54,2 % à refuser l’initiative populaire « pour sortir du nucléaire », présentée dimanche 27 novembre par les Verts. La participation a été de 44 %. Le texte proposait de limiter à 45 ans la durée de vie des centrales nucléaires suisses. Celles-ci, au nombre de quatre, comprennent cinq réacteurs. Le nucléaire représente en moyenne 40 % du courant produit en Suisse.
Quelques cantons francophones, dont celui de Genève, ainsi que le canton de Bâle, réputé pour son penchant écologique, ont dit « oui » au référendum. Tous les autres l’ont refusé, y compris ceux qui ont une centrale à proximité. Les électeurs de Leibstadt ont ainsi rejeté la sortie du nucléaire à 90 %, alors que leur commune abrite une centrale mise en service en 1984, actuellement à l’arrêt en raison de problèmes sur des éléments combustibles.
La ministre de l’environnement « soulagée »
Les électeurs helvètes n’ont pas été sensibles aux arguments des écologistes, qui estimaient qu’il y avait urgence à arrêter des centrales vieillissantes afin d’éviter les risques d’accident. Doris Leuthard, la ministre de l’environnement, opposée à ce référendum comme l’ensemble du gouvernement, s’est déclarée « soulagée ». La conseillère fédérale craignait qu’une victoire du oui entraîne un recours aux importations d’énergie venue de l’étranger, notamment des énergies fossiles, qui auraient alourdi le bilan carbone de la Suisse.
Mais elle défend tout de même la sortie de la filière nucléaire, à condition qu’elle soit anticipée. « Les Suisses ont voté avec la tête plutôt qu’avec les tripes, a commenté dimanche le député démocrate-chrétien Yannick Buttet. Ce ‘non’ montre simplement qu’ils souhaitent une sortie ordonnée et pas une débandade ».
Les partisans de l’initiative, eux, ont, au contraire, interprété le score du 27 novembre comme un bon signe. « Le peuple ne soutient plus l’atome », souligne le député socialiste Roger Nordmann. En 2003, le dernier référendum sur la sortie du nucléaire avait été balayé à 66 % des voix. Aujourd’hui, le score est bien plus serré. « Nous sommes ravis de ce large soutien de la population, a estimé la présidente des Verts Regula Rytz. La campagne de votation nous a permis de révéler clairement et sans compromis la profondeur de la crise que traverse l’industrie nucléaire et nous voulons mettre fin à sa gestion calamiteuse. »
Ces dernières semaines, les débats ont en effet porté sur les déficits subis par les groupes qui gèrent les centrales. Dans le Blick, Rudolf Rechsteiner, professeur à l’École Polytechnique Fédérale de Zurich, affirmait que « Axpo et Alpiq essuient chaque année des pertes de 637 millions de francs (soit 593 millions d’euros) avec leurs centrales ». Les deux géants avaient affirmé qu’ils réclameraient l’équivalent de 3,7 milliards d’euros à la Confédération helvétique en guise de « compensation » si l’initiative était votée.
La plus vieille centrale nucléaire au monde
Le texte des Verts a été refusé, mais la sortie de la Suisse du nucléaire reste programmée. Aucun projet de construction de nouvelle centrale nucléaire n’est prévu. Celle de Mühleberg, mise en service en 1972, sera débranchée fin 2019 par son exploitant BKW Energie. Quant à Beznau, considérée comme la plus vieille centrale commerciale du monde encore en activité, elle est actuellement en sursis. Son premier réacteur, lancé en 1969, est à l’arrêt car des défauts de sécurité ont été constatés dans sa cuve. L’Inspection fédérale de la sécurité nucléaire doit décider prochainement de sa remise en service… ou non.
L’échec du référendum ne remet pas en cause non plus le projet de transition énergétique porté par le gouvernement fédéral avec sa « Stratégie énergétique 2050 ». S’il ne fixe pas de date limite d’arrêt des centrales nucléaires, le texte voté cet automne par le Parlement prépare la fin de l’atome, prévoyant notamment le développement des énergies renouvelables et la réduction de la consommation d’énergie. Mais ce programme est loin de faire l’unanimité : le premier parti du pays, l’Union démocratique du centre, estime qu’une telle stratégie créerait un renchérissement de l’électricité. La formation populiste a d’ores et déjà commencé la récolte de signatures afin de lancer un référendum. Dans quelques mois, les Suisses pourraient bien retourner une nouvelle fois aux urnes.