Vue de la Canopée des Halles de Paris, réalisée par Patrick Berger et Jacques Anziutti, un jour de pluie. | NICOLAS KRIEF POUR « LE MONDE »

Tout en prêchant l’optimisme sur la situation des architectes, François Rouanet continue d’user d’un conditionnel assorti de réserves. « La descente serait terminée, mais on n’a pas encore opéré de remontée », souligne le vice-président du Conseil national de l’Ordre des architectes. C’est le principal enseignement que le CNOA tire d’Archigraphie, l’étude confiée au Credoc sur l’état de la profession, parue au mois de novembre.

Conséquence directe de l’émergence de la crise, le métier d’architecte a subi une forte récession de 2008 à 2015. Un bon quart de la profession en a été très sérieusement affecté. « La baisse de la commande depuis 2008 a réduit notablement à la fois son activité, ses revenus, le nombre de ses entreprises et le nombre de ses salariés, souligne François Rouanet en introduction à l’étude du Credoc. Dans le même temps, « le rôle d’amortisseur de la commande publique a fléchi. » Seul signe d’équilibre : le nombre des inscrits à l’Ordre des architectes se stabilise depuis quelques années à environ 30 000 professionnels, dont un tiers en Ile-de-France.

Principalement concernés par les difficultés économiques, les jeunes architectes, même s’ils ne s’inscrivent pas à l’Ordre (condition sine qua non pour pouvoir déposer une demande de permis de construire), parviennent toutefois à trouver du travail au sein des agences. « Mais la crise a un revers, s’inquiète le vice-président du CNOA. Une augmentation sensible du nombre d’auto-entrepreneurs parmi cette population. » Ce statut permet aux jeunes diplômé(e)s de séduire à moindre coût les agences et, partant, d’offrir une forme de stratégie économique au profit de celles qui sont le plus en difficulté.

Un risque de précarisation

Mais cette précarité a aussi des conséquences plus négatives. L’irruption de ce nouveau statut professionnel menace les savoir-faire qui s’étaient constitués au sein des agences. L’arrivée de ces personnels « temporaires », qui viennent et repartent au gré des missions qu’on leur confie, malmène la culture d’entreprise, notamment dans les petites et moyennes structures. Celles-là s’exposent à leur tour à un risque de précarisation, compte tenu de la volatilité de leur expertise.

Si la tendance à l’auto-entreprenariat s’affirme chez les plus jeunes, la création de sociétés propose une alternative. « Depuis 2004, les effectifs d’architectes associés ont nettement augmenté en raison des difficultés des conditions d’exercice de la profession en libéral et de l’appréciation des risques juridiques et financiers liés », indique le Credoc.

Ainsi, les bénéficiaires de ce statut n’exposent pas leurs patrimoines personnels ; ensuite, en conjuguant les savoir-faire d’architectes associés, ce type d’organisation permet de répondre aux compétences requises sur les projets, à leur parfois haute technicité ainsi qu’à leur complexité juridique. « Entre 2008 et 2012, le nombre d’architectes libéraux diminue de 397 par an en moyenne, et celui des architectes associés augmente de 406 en moyenne, souligne l’étude. Si cette évolution se poursuit dans les années à venir, en 2018 il pourrait y avoir davantage d’associés que de libéraux. »

Les femmes architectes, indique l’étude, ne semblent, pour l’heure, guère attirées par le statut d’associée. Seul un quart d’entre elles l’a adopté, alors que 43,2 % sont fonctionnaires et 40 % salariées. Plus globalement, les femmes représentent désormais plus du quart des effectifs de la profession (27 %), et, chez les moins de 34 ans, près de la moitié (46,2 %). En 1982, elles ne représentaient que 7,5 % des inscrits à l’Ordre.

Permis d’aménager

Cette féminisation correspond, selon le Credoc, à un phénomène de rattrapage par rapport aux autres professions. Toutefois, ici, comme dans d’autres secteurs d’activité, notamment techniques (catégorie à laquelle appartiennent les architectes), à responsabilité équivalente, les femmes sont moins bien payées que les hommes.

Tandis que, parmi les mutations en cours, les architectes prennent conscience de la nécessité de s’ouvrir au BIM (Building Information Modeling, c’est-à-dire une maquette collaborative en 3D, de la « table à dessin » au chantier), la politique s’est également invitée dans cette deuxième livraison d’Archigraphie. Le vote, durant l’été, de la loi sur la liberté de création, l’architecture et le patrimoine, doit permettre la mise en place de mesures en faveur de la qualité de l’architecture du quotidien et de la maison individuelle.

« Les architectes ont reçu un encouragement à reconquérir un marché sur lequel leur part reste bien trop marginale », indique François Rouanet. Principal levier : le permis d’aménager, lié, notamment, à la construction de lotissements. La présence d’un architecte aux côtés d’un géomètre ou d’un paysagiste, est devenue une obligation légale. Reste à déterminer le seuil de surface – forcément sensible – à partir duquel la loi devra s’appliquer.