Le ministre français de la justice, Jean-Jacques Urvoas, le 25 novembre 2016 au barreau de Paris. | PATRICK KOVARIK / AFP

Le conseil des ministres européens de la justice prévu jeudi 8 décembre, à Bruxelles, devrait permettre de sauver, in extremis, le projet de création d’un procureur européen. Cela fait plus de trois ans que les Vingt-Huit ne parviennent pas à s’entendre sur la façon de mettre sur pied un parquet qui serait chargé de combattre les infractions contre les intérêts financiers de l’Union européenne (UE). L’enjeu est pourtant de taille pour les contribuables européens. A côté des fraudes au budget de l’UE estimées à 3 milliards d’euros, les budgets nationaux seraient privés de plus de 50 milliards d’euros chaque année en raison des fraudes à la TVA intracommunautaire. Or, d’après les données de l’Office européen de lutte antifraude (OLAF), 60 % des recommandations d’enquête ou de poursuite qu’il formule ne sont pas suivies du moindre effet dans les pays concernés.

Jean-Jacques Urvoas, le ministre français de la justice, compte sur la réunion de Bruxelles pour « transformer un constat d’échec en nouvelle étape positive ». Car après la défection des Pays-Bas, avec un vote au Parlement fin novembre s’opposant à ce projet de parquet européen, la spirale de la paralysie menaçait de nouveau. Faute d’unanimité, puisque d’autres pays comme la Pologne ou la Hongrie sont également contre, il faudrait pour sauver le projet qu’il prenne la forme d’une coopération renforcée entre les quinze ou vingt Etats membres qui y sont favorables. Une majorité des ministres de la justice devraient ainsi se prononcer jeudi pour engager la saisie du Conseil européen. Vera Jourova, la commissaire européenne à la justice, compte ainsi que le sommet des chefs d’Etat et de gouvernement de mars 2017 décide de mettre en place une coopération renforcée, ce qui permettrait au parquet européen de démarrer fin 2018 ou début 2019.

Projet moins ambitieux

Depuis une dizaine d’années, Eurojust, une unité de coopération judiciaire de l’Union européenne, a fait franchir un pas important en matière d’entraide judiciaire dans le cadre d’enquêtes nécessitant des investigations dans un autre pays de l’UE. Mais « c’est insuffisant » et surtout beaucoup « trop lent », affirment dans une tribune commune des représentants des parquets de nombreux pays dont le Luxembourg, la Belgique, la France ou l’Espagne. Pour eux, seul un procureur de compétence européenne sera en mesure de combattre efficacement « le crime organisé, la corruption de haut niveau, les fraudes carrousel sophistiquées [à la TVA] ou le blanchiment d’argent ». On peut citer l’exemple de la gigantesque fraude à la TVA carbone qui a porté à la fin des années 2000 sur plusieurs milliards d’euros et donné lieu à des poursuites dans plusieurs pays européens mais sans pouvoir couvrir la totalité des transactions frauduleuses.

Derrière les belles proclamations, plusieurs Etats restent réticents à partager une once de leur pouvoir judiciaire

Le projet retenu est moins ambitieux que le schéma élaboré au printemps 2013 par la Commission européenne. Derrière les belles proclamations pour un espace judiciaire européen et la lutte contre la fraude internationale, plusieurs Etats restent réticents à partager une once de leur pouvoir en matière de poursuite judiciaire. Le procureur européen ne sera donc pas totalement indépendant des Etats membres. Il sera flanqué d’un collège composé d’un représentant du parquet de chaque pays. Ces procureurs auront leur mot à dire sur les dossiers concernant le pays qu’ils représentent.

Le schéma est aussi moins centralisé avec la présence de procureurs de liaison dans chaque pays afin de diriger localement les investigations demandées par le parquet européen. Certaines voix ont dénoncé dans ce partage des responsabilités un affaiblissement de l’action publique censée défendre les intérêts de l’Union. Les poursuites seront engagées ensuite devant les juridictions nationales, qui conservent la compétence de jugement comme pour toutes les infractions.

Selon une étude « efficacité/coûts » d’octobre, le nouveau schéma, un peu plus lourd, serait néanmoins largement bénéficiaire dès lors que la fraude à la TVA entre dans son champ de compétence. Un périmètre qui n’était pas encore totalement stabilisé deux jours avant le conseil du 8 décembre. Paris souhaite inclure la fraude à la TVA transfrontière dans les infractions relevant du procureur supranational. Un terrain d’entente devait être trouvé avec l’Allemagne.

« La France est depuis le début en faveur d’un parquet européen, et, même dans sa nouvelle architecture, le projet doit voir le jour », plaide M. Urvoas. La partie s’annonce serrée. La création du parquet européen « n’est pas une option », insiste le ministre français, « mais une obligation puisqu’elle est prévue par le traité de l’Union ».