Une réfugiée syrienne originaire d’Homs, dans un cam de Kab Elias, dans la plaine de la Bekaa (Liban), le 20 juin. | PATRICK BAZ / AFP

Le corps menu, un sourire timide qui ne quitte pas son visage, Manar a encore l’air d’une enfant. La jeune Syrienne est assise en retrait des femmes qui, sous un auvent en carton, dans un campement de la plaine de la Bekaa, se lamentent de leur quotidien pesant de réfugiées. Comme elles, Manar, 16 ans, est mariée. De ces noces célébrées au printemps au Liban avec un cousin de cinq ans son aîné, réfugié à Saadnayel, elle n’a rien choisi. L’union a été décidée « par les hommes de la famille », alors que la jeune fille était en Syrie. Déjà pratiqués avant la révolte de 2011 et la guerre qui a suivi, les mariages de mineures ont depuis augmenté en Syrie et parmi les communautés exilées dans les pays voisins, comme le Liban. Certaines sont parfois mariées dès l’âge de 13 ans.

Originaire de la campagne d’Alep, Manar n’avait pas songé à fuir sa région sous les bombes. Elle a entrepris le chemin « long et dangereux », du nord de la Syrie jusqu’à la frontière libanaise traversée clandestinement, « pour ce mariage ». Après son arrivée au camp informel de Mamdouh, tout est allé vite. Sa mère, venue avec elle, lui a énuméré « ses devoirs d’épouse, et parlé de la nuit de noces ». Puis il y a eu la fête en famille autour de Manar en robe blanche, entre les tentes.

Traumatisme

La tête couverte d’un léger voile, l’adolescente s’exprime avec pudeur. Il y a cette vie de couple, dont il lui faut s’accommoder. L’isolement : ses contacts avec sa mère, repartie en Syrie peu après le mariage, sont sporadiques. Et le quotidien au Liban, différent de ce qu’elle avait imaginé ; dans le camp miséreux où des rats se faufilent parfois dans les allées, on se débat pour joindre les deux bouts.

Assise à ses côtés, sa cousine et désormais belle-sœur Jawhar, 16 ans aussi, rit pour cacher sa gêne : sa tunique rose ornée de brillants laisse apparaître son ventre, elle est enceinte de sept mois. Mariée à un réfugié du camp choisi par sa famille, la jeune fille affirme qu’elle est « heureuse » de cette grossesse, car elle « aime les enfants ». Le mariage a pourtant été un traumatisme. « Jawhar pleurait, elle voulait revenir vivre avec ses parents, avec nous », se souvient Fatima, sa sœur aînée et sa confidente. « Je ne savais rien des relations sexuelles », commente la future maman.

Il n’existe pas de chiffres précis sur ces unions qui impliquent de jeunes Syriennes, issues pour beaucoup d’un milieu rural et peu éduqué. Mais leur augmentation inquiète les acteurs de l’enfance. Des associations jugent le terme de « mariage forcé » plus approprié, car la majorité des unions précoces sont imposées aux mineures. « On considère qu’il s’agit d’un abus sexuel », ajoute Mira Faddoul, chargée du programme de protection infantile à Kafa, une ONG qui lutte contre les violences faites aux femmes.

La pratique, ancienne, est souvent justifiée par la tradition. Mais son augmentation parmi les réfugiés au Liban serait aussi due à la volonté de protéger les jeunes filles d’un viol ou de relations hors mariage, et à la pauvreté dans laquelle vivent les familles. « On ne donne pas nos filles pour s’en débarrasser, réagit sèchement Fatima, 27 ans. Dans notre région d’origine, les femmes se marient entre 15 et 20 ans, ensuite elles sont jugées trop vieilles. » En Syrie, l’âge légal du mariage est de 17 ans pour les filles, mais il peut être ramené à 13 ans avec une autorisation judiciaire.

Sur le sujet, l’avis de Fatima est mitigé : « Je suis contente de ne m’être mariée qu’à 20 ans. J’étais plus mature. » Mais la jeune femme, qui n’a pas d’enfants, se félicite de la grossesse de Jawhar malgré son âge. « J’ai vécu avec la peur d’être répudiée, car je ne tombais pas enceinte. Jusqu’au jour où des examens ont montré que les problèmes de fécondité venaient de mon mari, raconte-t-elle. Jawhar ne subira pas le même calvaire. » Fatima rêve de recourir à la fécondation assistée.

« Prise de conscience »

A défaut de pouvoir empêcher les mariages précoces, qui touchent aussi de jeunes Libanaises, des associations, comme Kafa, rappellent « qu’une enfant ne peut pas s’occuper d’un autre enfant ». Dans les camps informels, ses équipes organisent des ateliers : il y est question de l’isolement et de la violence domestique auxquels les adolescentes sont plus exposées, et du risque de mortalité plus élevé lors de l’accouchement. « Il faut une prise de conscience pour que cette réalité change. Il faut aussi qu’une loi soit adoptée [au Liban] afin que l’âge légal du mariage soit fixé à 18 ans », plaide Mira Faddoul. Un tel cadre pourrait aussi protéger les jeunes Syriennes. Au pays du Cèdre, ce sont les autorités religieuses qui sont compétentes en matière de statut personnel, et le mariage des moins de 18 ans est consenti par la plupart des communautés, musulmanes ou chrétiennes.

Fatima et son aînée Issara, sœurs de Jawhar et cousines de Manar, ont suivi les sessions de Kafa. « Les animateurs ont raison, souffle Issara, 32 ans et mère de six enfants. Mais il faut du temps, et que les hommes participent au changement. » Mariée jeune, elle fait de la résistance pour protéger sa fille aînée, Rahaf, 15 ans, des demandes pressantes de prétendants. « Je tiens tête aux hommes de la famille qui veulent la marier, assure-t-elle, en fumant une cigarette. Rahaf ne reproduira pas ce que j’ai vécu. Elle ne se mariera pas avant d’avoir 20 ans, avec un homme capable de lui assurer une vie sereine. »

Un camion chargé de fruits et de légumes s’arrête à l’entrée du camp, il est 15 heures. Les femmes discutent les prix avec le commerçant, elles s’apprêtent à préparer le repas, partagé avec les hommes, de retour des champs ou des chantiers. Les jeunes Jawhar et Manar vaquent aussi aux occupations domestiques. Toutes deux sont déscolarisées depuis 2011, et ne retourneront pas à l’école.