Le village de Vaujany (Isère), en décembre 2013. Engagée dans une réforme territoriale d'ampleur, la France cherche à diminuer le nombre de ses municipalités. L'Etat offre d'importants avantages financiers aux mairies qui acceptent de se rassembler en « commune nouvelle ». | AFP/JEFF PACHOUD

Avec ses trente-six mille six cent quatre-vingt-une communes, la France recense à elle seule 40 % des mairies des vingt-huit pays de l'Union européenne. Un maillage administratif qui tient de la dentelle : 86 % de ces municipalités comptent moins de deux mille habitants, et ne regroupent « que » 24,5 % de la population française. A l'heure où le pays s'engage à marche forcée dans une réforme territoriale d'ampleur, la commune est, elle aussi, invitée à se transformer.

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Mardi 27 janvier, les parlementaires étudient en commission mixte paritaire une proposition de loi qui remet au goût du jour un texte datant de décembre 2010 et établissant la « commune nouvelle ». Le principe est simple : des villages s'associent pour former une municipalité à part entière, au sein de laquelle les anciennes communes deviennent des mairies déléguées. A plus petite échelle, la commune nouvelle ressemble au modèle de Paris, Lyon et Marseille avec leurs arrondissements.

AVANTAGES FINANCIERS

Mais la loi de 2010 a rencontré jusqu'ici un succès timide : treize nouvelles structures seulement ont été créées, à partir de trente-cinq communes existantes. Le texte d'alors présentait d'importants inconvénients, raconte le député UMP Jacques Pélissard, qui vient de quitter la présidence de l'Association des maires de France : pas d'encouragement financier pour les collectivités qui sauteraient le pas, et un calendrier défavorable, à la veille d'élections municipales qui allaient voir le renouvellement des conseils municipaux.

M. Pélissard, bientôt suivi dans sa démarche par le groupe socialiste à l'Assemblée, a élaboré une proposition de loi nettement plus incitative pour les communes. Elle prévoit cette fois des avantages financiers non négligeables au moment où les collectivités territoriales font face à une baisse drastique des dotations de l'Etat. Les communes nouvelles créées avant le 1er janvier 2016 bénéficieront ainsi d'un maintien de leur dotation pendant trois ans. Les collectivités nouvellement créées dont le nombre d'habitants est compris entre mille et dix mille habitants auront en plus droit à une majoration de 5 % de la somme.

Pour autant, « je ne mets jamais en avant les avantages financiers », assure la députée PS Christine Pirès Beaune, rapporteure de la proposition de loi :

« Si on met en place une commune nouvelle seulement pour l'argent, ce n'est pas la peine. Il faut de l'envie, de la cohérence, des projets avec des communes contiguës. »

« DÉTÉRIORATION DU CIMENT RÉPUBLICAIN »

L'objectif, c'est de renforcer l'échelon communal, martèle Jacques Pélissard : « Il vaut mieux mettre en commun les richesses financières et démographiques de plusieurs municipalités pour faire une commune forte dans une intercommunalité plutôt que de s'étioler indépendamment des uns des autres. »

Car, en parallèle, le projet de loi sur la nouvelle organisation territoriale de la République (dite « loi NOTRe »), actuellement examiné au Parlement, entend consolider les intercommunalités : le gouvernement voudrait que ces structures représentent au minimum vingt mille habitants, contre cinq mille aujourd'hui – un seuil toutefois très discuté que le Sénat, passé à droite, a retoqué. Alors, au sein de ces collectivités mastodontes, « si on est une toute petite commune, on ne pèse rien », explique Mme Pirès Beaune.

Mais l'initiative annonce quelques réticences. « L'argument selon lequel on va conforter la commune en la supprimant, il fallait le trouver ! », raille Cédric Szabo, directeur de l'association des maires ruraux de France, qui rassemble dix mille petites communes. Il déroule ses appréhensions, s'inquiète d'un possible « accroissement des inégalités territoriales », de « la détérioration du ciment républicain », de l'« affaiblissement du lien entre le citoyen et la commune ».

Avec les communes nouvelles, craint-il, les habitants de zones rurales « vont se sentir abandonnés » parce que leurs représentants « seront à 50 kilomètres ». M. Szabo s'interroge surtout sur la pertinence de cette « doctrine idéologique » qui « vise à supprimer les communes » : « Si on passe de trente-six mille à trente-quatre mille communes, franchement, qu'est-ce qu'on y gagne ? »

PAS DE « PERTE D'IDENTITÉ »

Face à ces craintes, le législateur pointe « des idées fausses » et se veut rassurant. Le texte se garde bien d'employer le terme repoussoir de « fusion », lui préférant celui de « regroupement ». « On ne supprime rien ! », commente Christine Pirès Beaune. La députée rappelle que « aucune commune ne disparaîtra contre son gré », qu'il n'y aura « pas de perte d'identité » puisque les anciennes communes resteront « de droit des communes déléguées » et surtout que les associations se feront « sur la base du volontariat et du consensus ».

Gouvernement et élus manœuvrent avec tact, chacun étant conscient de l'attachement des Français à l'échelon municipal et à leurs représentants locaux. D'autant que les précédentes tentatives de fusion de communes, en 1959 et 1971, ont conduit à des échecs : les municipalités sont passées du nombre de trente-huit mille cinq cents en 1959 à trente-six mille sept cents en 2014.

L'initiative de 2014 peut-elle rencontrer davantage de succès ? Vincent Aubelle, professeur associé au département génie urbain de l'université Paris-Est Marne-la-Vallée, juge bon le principe de la commune nouvelle, qui permet de résoudre l'opposition entre le maintien des communes et la rationalisation qui mènerait à leur suppression. Mais il déplore un « manque de schéma d'ensemble » :

« La réforme du bloc communal se fait dans une logique de bricolage du dimanche : d'un côté, il y a le texte sur les communes nouvelles, de l'autre la loi NOTRe sur l'intercommunalité. Les deux auraient dû être pensés ensemble. »

L'universitaire a imaginé un système où les communes nouvelles regrouperaient au minimum quatre mille ou cinq mille habitants, et où pourraient être exercées les compétences de proximité (école, voirie...). Les intercommunalités se chargeraient, elles, de l'aménagement du territoire, du transport et des économies d'échelle. « Et, à partir de là, résume M. Aubelle, on défile la pelote du reste des échelons : avec des communes nouvelles à cinq mille habitants, des intercommunalités à cinquante mille, la question du département se pose. » Pour lui, aujourd'hui, les dirigeants « posent des briques, mais on cherche désespérément l'architecte ». Et de conclure : « On est en train de rater une chance formidable de repenser toute l'organisation territoriale. »