Ce vendredi 20 janvier marque l’ouverture des inscriptions sur le portail Admission post-bac (APB 2017), qui permet chaque année à quelque 800 000 élèves et étudiants en réorientation de faire leurs vœux d’études dans le supérieur. Quelles informations reçoivent les élèves au moment de faire leur choix d’orientation ? C’est la question que se pose depuis 2013 la sociologue Agnès van Zanten dans le cadre de plusieurs travaux sur les politiques d’orientation scolaire, les prescripteurs et les lieux d’orientation. Selon elle, les conseils donnés par les équipes éducatives au moment où les élèves doivent faire ce choix diffèrent du tout au tout, selon que l’on soit dans un lycée favorisé ou non. Un biais qui vient accentuer les inégalités sociales et scolaires. Entretien.

Au mois de janvier sont souvent organisées, dans les lycées, des réunions d’information sur Admission post-bac. Comment le paysage de l’enseignement supérieur y est-il présenté ?

Agnès van Zanten : Il est intéressant de constater que si tous les établissements s’appuient sur le même schéma de l’Onisep, très complet, pour présenter l’enseignement supérieur aux parents et aux élèves, chacun se focalise sur une partie bien précise de celui-ci. Dans les réunions des établissements très favorisés, le discours tourne quasi exclusivement autour des classes préparatoires aux grandes écoles (CPGE), et un peu sur les filières sélectives de l’université (droit, médecine, etc.). Comme si l’espace de l’enseignement supérieur se résumait à ces filières. L’analyse des affiches ou des brochures des formations du supérieur présentes dans les établissements montre le même phénomène.

Alors que dans les lycées défavorisés, on parle surtout des sections de brevet de technicien supérieur (qui préparent au BTS) et des filières non sélectives de l’université. On évoque quelquefois seulement des prépas, lorsque le lycée est inscrit dans un dispositif d’égalité des chances de type « Cordées de la réussite ». Selon les milieux, les élèves baignent donc dans des environnements qui « canalisent » leur orientation. Et les jeunes qui font des choix différents sont, de fait, placés dans une position de marginalité.

Quels types de conseils sont donnés aux élèves dans ces différents lycées ?

Plus on est dans un établissement favorisé et plus les conseils arrivent tôt dans la scolarité – parfois dès la classe de seconde –, plus ils sont personnalisés et stratégiques. In fine, les élèves de ces lycées sont incités à faire des choix ambitieux, et surtout à optimiser leurs chances de les avoir sur l’outil APB. Ce sont des conseils du type : « Si tu veux faire ce genre d’études, voilà la meilleure formation dans le domaine. Mais elle est très sélective, alors tu dois la mettre en premier vœu, suivie de telle autre un peu moins sélective, etc. »

La situation est bien différente dans les lycées plus défavorisés, où les consignes données sont majoritairement d’ordre procédural : « Rappelez-vous que vous devez saisir vos vœux sur APB avant le 20 mars, que vous devez y entrer au moins un vœu, etc. » Ces rappels sont nécessaires, car les élèves des milieux populaires sont bien moins accompagnés par leur famille dans leur orientation, mais la démarche en devient presque bureaucratique. Pour les équipes pédagogiques, ce peut être une manière de répondre aux injonctions contradictoires. De participer à l’objectif national d’une augmentation du nombre de jeunes accédant au supérieur, sans prendre le risque d’orienter les élèves vers des filières inadéquates.

Sur qui s’appuient les élèves au moment de choisir leur orientation ?

Il y a d’abord, bien entendu, la famille. Mais une étude que nous avons réalisée auprès de 3 000 jeunes montre que les élèves issus des catégories socioprofessionnelles supérieures sont 60 % à discuter régulièrement de leur orientation avec leurs parents, alors que ce n’est le cas que de 20 % des jeunes de milieux populaires. De même, les élèves des milieux favorisés discutent plus que les autres de leur orientation avec leurs camarades de classe. En découle un peer effect (influence des pairs) qui conduit à une homogénéité des vœux au sein de l’établissement. Alors que les élèves des milieux défavorisés ont tendance à demander conseil auprès d’amis qui ne sont pas nécessairement scolarisés.

Au sein même de l’établissement, le nombre d’adultes qui se penchent sur l’orientation du jeune est plus important dans les lycées favorisés. Pour la raison simple que les conseillers principaux d’éducation, étant moins mobilisés sur les problèmes de discipline, moins nombreux, sont disponibles pour donner des conseils. Il en est de même pour les équipes de direction. Dans le lycée très favorisé que nous avons étudié, le chef d’établissement validait lui-même la liste et l’ordre des vœux des jeunes. Alors que dans les lycées moins favorisés, l’orientation est moins un sujet prioritaire pour les personnels, qui sont mobilisés avant tout sur la réussite au bac, la lutte contre le décrochage, etc.

Quelle place pour les conseillers d’orientation et les enseignants dans l’orientation ?

Depuis les années 2000, le choix politique a été fait de ne pas renouveler numériquement les conseillers d’orientation psychologues (COP). Ces derniers ne sont donc pas assez nombreux sur le terrain, travaillent sur plusieurs établissements et ont très peu de temps à accorder aux élèves.

La mission d’orientation finit souvent par retomber sur des enseignants qui n’y sont pas préparés. Trop occupés à essayer de « boucler le programme », ils résistent fortement à cette mission qui n’est pas leur cœur de métier, et qui est très peu valorisée. Et les lycées n’utilisent pas tous le temps d’accompagnement personnalisé, institué depuis 2010, de la même façon : ils décident soit de le consacrer au soutien scolaire des élèves, soit à l’orientation.

Il reste les salons d’orientation…

Ces salons étudiants sont une présentation du « marché » de l’enseignement supérieur. Et logiquement, les acteurs privés marchands du secteur y sont surreprésentés par rapport à la réalité. Contrairement aux universités, qui le sont très peu. Une fois encore, cela revient à « cadrer » l’image que les visiteurs s’y font de l’enseignement supérieur. Selon nos premières analyses, les élèves qui viennent dans les salons sont plutôt issus des classes moyennes. Ce qui explique que le privé puisse être une option pour eux.

Certains lycées populaires amènent aussi leurs élèves dans ces salons. C’est une manière, encore une fois, de déléguer une mission d’orientation qu’ils n’ont pas les moyens de mettre en place. Sauf que dans ces salons, marketing oblige, on est beaucoup plus dans le registre expressif : « L’ambiance est cool chez nous », « Avec ton diplôme, tu peux tout faire ». Décrypter ce marché pour connaître la valeur réelle de ce qui est présenté de manière attractive, cela demande un accompagnement.

Quels sont, alors, les leviers pour améliorer l’orientation des élèves ?

Que ce soit avec leur famille, dans les établissements au jour le jour ou sur ces salons, il faut réduire ces inégalités concernant le paysage scolaire présenté, ambitieux ou non. Mais aussi les différences de temps accordé à l’orientation scolaire dans les établissements, aux conseils et à la stratégie.

Cela suppose des ressources supplémentaires pour les acteurs, de réelles incitations, du temps en plus, de la formation, et pas seulement des discours ambitieux en la matière. On ne pourra pas réduire totalement les inégalités sociales et scolaires qui précèdent le moment de l’orientation. Mais l’institution peut aller vers une égalisation des conditions d’accompagnement de cette orientation.