De l’université vers les grandes écoles, une voie royale négligée
De l’université vers les grandes écoles, une voie royale négligée
Par Adrien de Tricornot
La possibilité de rejoindre des grandes écoles, notamment d’ingénieurs, après un BTS, un IUT ou une licence est souvent méconnue ou sous-estimée par les étudiants.
Cérémonie de remise des diplômes à la Toulouse Business School, le 14 janvier. | TOULOUSE BUSINESS SCHOOL
Entrer dans une grande école de commerce ou d’ingénieurs sans passer par une prépa : c’est non seulement possible, mais c’est une voie méconnue et souvent négligée des étudiants, qui ont tendance à s’autocensurer. Pourtant, 30 % des diplômés des 222 écoles membres de la conférence des grandes écoles (CGE) y sont entrés par les admissions sur titre, également appelées « admissions parallèles », généralement après un bac + 2 ou un bac + 3. De quoi en faire une voie presque aussi royale que la prépa (40 % des diplômés) et équivalente à l’accès post-bac : « Cet équilibre que nous avons constaté dans une enquête menée l’an dernier n’a pas fondamentalement changé depuis, selon Francis Jouanjean, délégué général de la CGE. La diversité des voies d’accès permet de donner sa chance à chacun, et d’accueillir des élèves qui recherchent, dans les écoles, l’encadrement et l’insertion professionnelle. »
Pourtant, les passerelles entre l’université et les grandes écoles ne sont pas très fréquentées, ou avec trop de précaution, surtout pour celles d’ingénieurs. Quand elle a constitué son dossier pour présenter la filière commune d’admissions sur titres des écoles d’ingénieurs de Paris Tech, Léa Gilbert, titulaire d’une licence scientifique avec une spécialité en physique appliquée à l’université d’Orsay, n’avait d’abord pas osé cocher la case Polytechnique. « Les écoles ont accès aux choix que nous avons formulés, et ils doivent correspondre à un projet professionnel. Il ne faut donc pas tout demander. Et c’était pour moi inimaginable d’entrer à Polytechnique », explique la jeune femme.
Elle a finalement écouté sa mère qui lui a dit : « Tu peux aussi faire l’X. » Bien lui en a pris. Son dossier a été retenu, elle a passé avec succès les oraux. Elle est aujourd’hui élève en troisième année de la prestigieuse école du plateau de Saclay. Léa Gilbert va ensuite effectuer son « école d’application » au Politecnico de Milan, dans une filière alliant architecture et environnement, réalisant ainsi son projet : « Je suis autant intéressée par l’architecture que par l’environnement et j’ai toujours voulu être ingénieure en construction écologique. » Ironie de l’histoire, cette bachelière scientifique avait d’abord commencé, sur les conseils de ses enseignants, une prépa – où les méthodes d’apprentissage et le stress l’avaient rebutée –, et visait l’école des Ponts…
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L’anglais, un frein aux voies parallèles
Ces filières peinent pourtant à percer chez les étudiants en sciences exactes à l’université, à qui la poursuite d’études en master ouvre aussi de bons débouchés professionnels : « Les admissions sur titre sont très importantes car elles permettent de diversifier les publics et elles contribuent aussi à l’ouverture sociale. Mais les titulaires d’une licence scientifique ont intégré le système LMD et beaucoup continuent en master scientifique », analyse François Cansell, président de la Conférence des directeurs des écoles françaises d’ingénieurs (Cdefi).
En 2015-2016, 15,9 % des nouveaux admis en école d’ingénieurs l’ont été sur titre à bac + 2, après un BTS ou un IUT, et seulement 6,3 % après un diplôme universitaire français (licence à bac + 3) et 13,5 % avec un diplôme étranger, du type bachelor. Du côté des écoles d’ingénieurs, on se demande aussi si l’information circule bien dans les universités, qui ne veulent sans doute pas perdre leurs meilleurs éléments.
Isabelle Assassi, directrice du programme grande école de Toulouse Business School
Si les étudiants en licence ont souvent du mal à s’imaginer dans une grande école, les écoles de commerce leur font pourtant les yeux doux. En leur sein, les étudiants admis par les admissions parallèles sont désormais plus nombreux que ceux passés par une prépa.
Les résultats du concours Passerelle, qui permet aux titulaires d’un bac + 2 ou bac + 3 d’accéder, en deux concours distincts, à treize écoles de commerce parmi lesquelles Grenoble EM, Burgundy BS (Dijon), Télécom EM, Rennes SB, Strasbourg EM, etc., montrent que la voie n’y est pas si étroite pour eux. En 2016, 3 160 places ont été proposées pour ces deux concours, auxquels se sont proposés 6 697 candidats, soit un taux de succès global de 47,2 % ! Et le nombre de places continue à augmenter : il atteindra 3 310 en 2017.
Le concours à bac + 2 (la durée d’une prépa), longtemps le plus demandé et le plus doté en places, est très majoritairement tenté par des titulaires de BTS et de DUT. Il devient moins important à mesure que celui à bac + 3 prend progressivement le relais : « La stratégie des étudiants est de plus en plus d’avoir un premier diplôme de niveau licence et ensuite de chercher un programme de grande école, voire un contrat en alternance », témoigne Jean-Guy Bernard, président de l’association Passerelle.
Il note aussi que cette tendance est portée par le développement des bachelors, qui constituent 35 % des candidats à bac + 3, « mais aussi des licences professionnelles en économie gestion, en vente ou en gestion des entreprises et des administrations [GEA] ». Et indique que le trop faible niveau d’anglais est l’un des freins principaux au succès par la voie parallèle.
« En réalité, tout le monde a quelque chose à rattraper »
Peur d’être trop singuliers face aux élèves de prépa qui ont bachoté les concours en accumulant les connaissances, et un niveau élevé dans certaines matières comme les mathématiques ? En réalité, les recrutements sur titres des écoles de commerce se font le plus souvent sur dossier, et avec des tests de logique et d’aptitudes linguistiques (du type TAGE-MAGE) et de langues (TOEIC, TOEFL, etc.) afin de ne pas écarter les étudiants en fonction de leur discipline de départ. S’ensuivent des oraux de langue, un entretien, voire des exercices de mise en situation à plusieurs.
Et une fois admis, les élèves bénéficient de cours pour rattraper les matières qu’ils n’ont pas étudiées. « Les titulaires de licence d’économie-gestion, de droit, de sciences, et de langues étrangères appliquées sont les plus représentés dans les admissions parallèles, même si d’autres matières littéraires, histoire, peuvent aussi venir et y réussir », témoigne Patrice Houdayer, directeur des programmes, de l’international et de la vie étudiante de Skema.
Née de la fusion des écoles de commerce de Sophia Antipolis et de Lille, Skema recrute ainsi 530 élèves chaque année par admission parallèle, autant que dans les classes préparatoires. Près de 4 000 candidats se sont présentés l’an dernier : 180 avec un niveau bac + 2 (BTS, IUT, L2), pour une rentrée en première année du programme grande école, et 350 avec un bac + 3 (en deuxième année).
A l’expérience, les élèves admis sur titres effectuent des parcours en tous points comparables à ceux des autres : « Je ne suis pas perdue à l’école, en réalité tout le monde a quelque chose à rattraper », témoigne Mathilde Dambrun, élève à Toulouse Business School, arrivée par la filière d’admission parallèle après un double cursus, en droit à l’université et en préparation à l’ENS Cachan.
Ayant abandonné l’idée de présenter le concours de Normale sup, Mathilde Dambrun a validé ses deux années de droit, tout en constituant un groupe de travail avec d’autres élèves pour viser des admissions sur titre pour les bac + 2 : « Pour à peu près tout le monde, ça s’est bien passé : cinq ont été reçus à Grenoble EM, deux à Toulouse BS, un à l’EM Lyon, etc. » « Je suis formelle, les admis sur titre n’ont pas des résultats différents des élèves issus de prépas », témoigne d’ailleurs Isabelle Assassi, directrice du programme grande école de TBS, qu’elle a rouvert en 2014.
Du potentiel et de l’ouverture
« Ce qui nous intéresse, c’est d’avoir de la diversité, il n’y a pas de profil de réussite. Nous recherchons des gens qui ont du potentiel et de l’ouverture, ils sont ensuite totalement mélangés au sein des groupes et apportent de la valeur ajoutée », ajoute Philippe Dépincé, directeur d’Audencia Grande Ecole, où le nombre de places par la procédure d’admission parallèle est passé de 150 en 2012 à 220 en 2016.
L’école recrute sur la base d’un titre bac + 3 reconnu par le ministère de l’enseignement supérieur. Les titulaires d’un bachelor, dont le niveau est reconnu par le registre de la formation professionnelle (RNCP), peuvent cependant demander une dérogation. Titulaire d’une licence de droit et gestion obtenue à Lille, Pierre Ballion, élève d’Audencia, apprécie finalement son parcours. Il s’était d’abord fourvoyé en prépa économie après un bac ES option mathématiques – un très grand investissement personnel qui reste pour lui une forme de « traumatisme » car, au bout du compte, explique-t-il, « j’ai réussi les concours partiellement, pas assez à mon goût : les écoles où j’étais admis ne me plaisaient pas ».
Redoubler ? Il apprend qu’à l’université Lille 2 existe une licence de droit et gestion comportant aussi une préparation aux concours d’admissions parallèles des différentes écoles. « J’ai trouvé cette année d’université très gratifiante, j’ai travaillé et j’ai pu obtenir une école meilleure que l’année précédente. L’enseignement est très théorique en prépa, alors qu’il donne plus de méthodes en licence. Il était plus épanouissant et j’ai pu faire un stage dans le service commercial d’un cabinet de recrutement. » Aux élèves de la promotion précédente de sa prépa, Pierre Ballion a donc conseillé de faire comme lui. Le passage par l’université peut aussi être une voie royale pour les grandes écoles.