Adama Barrow : « Avec le Sénégal, il y aura un niveau d’amitié comme jamais auparavant »
Adama Barrow : « Avec le Sénégal, il y aura un niveau d’amitié comme jamais auparavant »
Propos recueillis par Salma Niasse (contributrice Le Monde Afrique, Dakar)
Le nouveau président de Gambie a reçu le « Monde Afrique » dans une villa cossue de Dakar où il est réfugié depuis dix jours. La date de son retour n’est pas encore fixée.
Après vingt-deux ans de règne sans partage, la Gambie tourne la page Yahya Jammeh. Le président autocrate a quitté Banjul samedi 21 janvier au soir. Mais, soixante-douze heures plus tard, son successeur, Adama Barrow, est toujours à Dakar, où il a reçu Le Monde Afrique pour un entretien exclusif.
Reconstruction, réformes, quel avenir de Yahya Jammeh, relations avec le Sénégal, M. Barrow, très détendu, parfois un brin désinvolte, répond à toutes les questions (en wolof) mais ses hésitations trahissent que ce sont là ses premiers pas en politique. L’entretien s’est déroulé lundi après-midi, dans une villa cossue des Almadies, le quartier chic de Dakar, gardée par de nombreux hommes en armes et mise à disposition, selon l’entourage de M. Barrow, par la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao). Le président gambien était vêtu d’un élégant boubou dans un sobre salon beige, accompagné d’une attachée de communication qui s’est contentée, durant l’entretien, de prendre des photos et de regarder sa montre.
La date du retour du président, très attendu en Gambie, a fait l’objet d’échanges séparés avec son entourage. Lundi, ses collaborateurs évoquaient mardi, peut-être mercredi. Mardi après-midi 24 janvier, ils nous disaient au téléphone : « On ne devrait plus tarder, mais rappelez-nous demain [mercredi], on en saura plus. »
Quelles seront, à votre retour en Gambie, vos premières mesures ?
Adama Barrow Disons qu’il y avait une première étape qui était de faire partir Yahya Jammeh. Avec l’aide de Dieu, cela s’est fait sans violence. Maintenant, la seconde phase est de se mettre au travail. Mais on ne pourra pas le faire tant que notre cabinet ne sera pas mis sur pied. Une fois qu’il sera constitué, on mettra en place ce qu’on appelle des « experts data bank ». Ils feront des rapports sur la politique à mener en Gambie et accompagneront les ministres qui en auront besoin.
La priorité, c’est notre économie. Ce sont les premiers dossiers que je vais traiter en rentrant pour éviter une crise, parce que l’économie va mal. Le pays a beaucoup de dettes. Il faudra prendre des mesures solides.
Par exemple ?
On a besoin de tout revoir en Gambie. Vingt-deux ans [la durée de la dictature de M. Jammeh], cela a été long… Il y a beaucoup de choses à voir pour mener une réforme. Après cela, on constituera un Livre blanc qui sera un guide pour faire fonctionner le pays. Mais on n’y va pas à tâtons. On aura un dossier solide, basé sur les chartes et les principes démocratiques, pour développer le pays.
Vous avez prêté serment à l’ambassade de Gambie à Dakar, ce qui est insolite. Allez-vous organiser une nouvelle cérémonie en rentrant ?
J’ai déjà prêté serment donc je ne pourrai pas le refaire. Mais on fera l’inauguration en Gambie pour que tous les Gambiens soient présents. Et puisque notre fête de l’indépendance a lieu le 18 février, je pense qu’on la fera ce même jour pour que tout le peuple soit réuni.
Les troupes de la Cédéao stationnent aujourd’hui à Banjul. Combien de temps vont-elles y rester ?
On ne peut pas le dire pour l’instant. Ce qui est sûr, c’est qu’on veut stabiliser le pays, le sécuriser et que, pour ce faire, la Cédéao a un rôle à jouer. Yahya Jammeh est resté longtemps en Gambie. Il a beaucoup fait pour manipuler et fidéliser ses troupes. Il faudra donc voir comment travailler avec elles, quelle formation leur apporter pour qu’elles puissent faire leur travail de manière indépendante et professionnelle. On a besoin de la Cédéao pour cela.
Et les agents de la NIA, la police politique, qu’allez-vous en faire ?
On va faire une réforme. Une réforme pour toute la Gambie, adaptée aux lois et aux normes internationales.
C’est-à-dire ?
Ce sera large. Mais il faut d’abord faire des investigations pour savoir ce qu’il en est au juste. Ceux qui vont les mener me feront des rapports et des recommandations pour que je prenne les bonnes décisions. On peut parler de réformes mais on ne peut pas agir avant d’évaluer la situation. Etre à l’extérieur ou à l’intérieur du gouvernement, c’est bien différent. Maintenant que je suis à l’intérieur, je vais savoir exactement ce qu’il en est.
Vos réponses ne sont pas très précises. Vous avez bien fait campagne avec un programme pour vos électeurs ?
Vous savez, la Gambie est différente de beaucoup de pays. Le gouvernement en place avait verrouillé toutes les portes. Il voulait qu’aucune information ne soit disponible pour nous. Pour avoir des détails, il faut une commission qui va voir comment ça marchait, qui était en place et, partant de là, je recevrai des recommandations.
Le Sénégal vous a soutenu tout au long de la crise électorale. Pourrez-vous affirmer votre autonomie face à ce grand pays voisin ?
Le Sénégal et la Gambie, c’est presque la même famille. Nous sommes voisins. Nous parlons la même langue [le wolof] et consommons les mêmes plats. J’aurais pu aller [me réfugier] au Liberia, mais j’ai préféré le Sénégal parce qu’ici, c’est comme chez moi. On a été bien soutenus au Sénégal. Parce que le gouvernement sénégalais sait que quand il y a un problème en Gambie, ça devient aussi un problème sénégalais.
Cette amitié est basée sur des principes. On se respecte mutuellement et nous sommes deux Etats souverains, avec chacun ses intérêts et sa façon de fonctionner. On discutera pour l’ensemble des questions dans lesquelles nos deux pays ont des intérêts communs. Il n’y aura pas de mésentente. Ça, je le garantis au Sénégal. Cette amitié va atteindre un niveau qu’elle n’avait jamais atteint auparavant.
A combien seront fixées les taxes de transit à travers la Gambie pour les transporteurs sénégalais ?
On ne peut pas le dire pour l’instant. On va voir avec les experts en la matière.
Allez-vous organiser des élections dans trois ans, comme vous l’avez promis ?
Peut-être. Il y a un travail de reconstruction qu’on veut faire pendant la transition et on veut qu’il soit bien fait. Sinon, tout recommencera comme avant. Si c’est fait en trois ans, tant mieux. Sinon, le mandat est de cinq ans. Je maintiens ce que j’avais promis, mais à ce que je vois, il y a beaucoup à faire.
Quel avenir pour Yahya Jammeh ? Est-il libre de circuler en Afrique ?
On n’a pas signé d’accord. On a fait une résolution. On va revenir sur les détails après. Mais je sais qu’il ne pourra pas circuler comme il veut en Afrique [rires]. Il a été président pendant vingt-deux ans et beaucoup de choses se sont passées. En théorie, il a le droit d’aller où il veut, même en Gambie. Mais encore faudra-t-il que le pays d’accueil puisse assurer sa sécurité. En Gambie, on lui a dit qu’on ne pouvait pas garantir sa sécurité pour l’instant, si l’envie de revenir lui prenait.