Des manifestants devant la Maison Blanche, le 29 janvier. | CHET STRANGE / AFP

Il y a deux semaines, Henna Qureshi travaillait dans un camp de réfugiés syriens en Jordanie. Dimanche 29 janvier, cette jeune pédiatre américaine d’origine pakistanaise a rejoint les manifestants venus devant la Maison Blanche, à Washington, dénoncer le décret présidentiel signé 48 heures plus tôt par Donald Trump, qui interdit l’accès aux Etats-Unis aux ressortissants de sept pays musulmans.

« Revenir dans mon pays pour être confrontée à ce type de décision, c’est terrible », témoigne la jeune femme, cheveux noirs jais et anneau d’or dans la narine gauche. « J’ai des amis syriens ou iraniens, des médecins, à qui on a déconseillé de participer à des échanges ou des missions à l’étranger car ils ne pourront plus revenir dans le pays, s’insurge-t-elle. Je n’ai pas voté pour Trump mais jusqu’à présent je respectais le résultat de l’élection. Or, maintenant, on se rend compte qu’il est le président d’un seul camp. En sept jours [de présidence Trump] tant d’horreurs ont été dites et faites, j’espère que la population va s’élever contre cette politique. »

Toutes religions confondues

Les milliers de personnes présentes au pied de la statue du marquis de La Fayette, face à la Maison Blanche partagent ce même espoir. Beaucoup n’avaient jamais manifesté de leur vie. C’est le cas de Sabila, une enseignante voilée d’origine indonésienne, venue du Maryland. « Je suis en colère et effrayée », avance la jeune femme, brandissant une pancarte avec des photos d’enfants syriens morts ou blessés. « Je ne pensais pas que les choses iraient si vite. Il faut montrer à Trump qu’il ne peut pas faire ce qu’il veut », insiste-t-elle, tout en se disant rassurée par la foule venue protester. Entre deux chants, une femme musulmane voilée de bleu vient enlacer des manifestants et les remercier de leur présence.

De nombreuses familles juives ont aussi fait le déplacement. « C’est inimaginable de laisser ceci se passer sous nos yeux. Il ne faut même pas qu’il y ait un début d’application à ce décret », juge Daniel Jossen, kippa sur la tête et pancarte à la main. « En plus il a pris cette décision le jour du souvenir de l’Holocauste, s’étrangle-t-il. Or le lien entre l’histoire des juifs et ce qui se passe aujourd’hui, c’est que personne ne doit être discriminé à cause de sa religion. »

Contre-pouvoir

Certains craignent la prochaine étape. « Et si après cela Trump décide de ne plus accorder de visas à tous les musulmans ? », s’inquiète Abhishek, un étudiant américain d’origine indienne, venu du Massachussets. « Toute cette politique n’est pas digne des Etats-Unis et de ce pourquoi le pays s’est toujours battu », juge le jeune homme de 20 ans, un petit drapeau américain à la main.

Julija Sajauskas, dont les parents sont arrivés de la Lituanie communiste, renchérit : « A l’époque, les Etats-Unis les ont accueillis à bras ouverts et j’ai pu vivre le rêve américain. Mais il faut dire que nous étions blancs et chrétiens… » « Changer les règles aujourd’hui, c’est vraiment triste alors que le pays s’est construit sur le partage des différences », soupire la jeune femme venue manifester avec sa femme.

Beaucoup se félicitent de l’action en justice qui a permis la veille de suspendre les renvois de ressortissants des sept pays concernés. « La justice et la mobilisation populaire constitueront les contre-pouvoirs à la politique de Trump, veut croire M. Jossen. C’est formidable que des associations et des avocats se mobilisent ainsi, même un samedi ! »

D’autres pensent déjà aux actions qu’il va leur falloir entreprendre pour « résister ». « On va écrire à nos représentants, les appeler, porter tous les cas possibles en justice, devenir bénévoles pour des associations de défense des migrants…. », énumère Jessica, une employée fédérale de 34 ans. Sur sa pancarte, le slogan « Ban Bannon » résume l’inquiétude de nombreux manifestants face à l’influence de Stephen Bannon, le très nationaliste conseiller stratégique de Trump.

Après les manifestations spontanées de ce weekend à Washington et dans de nombreux aéroports du pays, les responsables politiques démocrates devaient se mobiliser à leur tour lundi, en organisant un rassemblement devant la Cour suprême pour protester contre cette « injustice historique », selon les termes de Nancy Pelosi, chef de file des démocrates à la Chambre des représentants.

Etats-Unis : des manifestations dans tout le pays contre le décret anti-immigration de Donald Trump