Berlin, Madrid, Paris et Rome favorables à une Europe à plusieurs vitesses
Berlin, Madrid, Paris et Rome favorables à une Europe à plusieurs vitesses
Par Marc Semo (Versailles, envoyé spécial)
Merkel, Rajoy, Hollande et Gentiloni ont plaidé, lundi, pour des « coopérations différenciées » entre les Etats membres, afin de sauver le projet européen.
Le premier ministre espagnol Mariano Rajoy, la chancelière allemande Angela Merkel, le président français François Hollande et le président du Conseil italien Paolo Gentiloni, réunis au château de Versailles, lundi 6 mars. | MARTIN BUREAU / AFP
Chacun derrière son pupitre et parlant l’un après l’autre devant un fond bleu délavé parsemé d’étoiles pâlies, ils représentaient les quatre premières économies de la zone euro et les quatre pays les plus peuplés d’une Europe bientôt réduite à vingt-sept.
Réunis au château de Versailles à l’initiative de François Hollande, la chancelière allemande, Angela Merkel, le président du Conseil italien, Paolo Gentiloni, et le premier ministre espagnol, Mariano Rajoy, ont voulu lundi 6 mars rappeler d’une même voix leur engagement envers un projet menacé par la montée des populismes et les risques de dislocation.
Ce mini-sommet informel, avant le conseil européen de la fin de la semaine et les cérémonies, le 25 mars, du soixantième anniversaire du traité de Rome fondateur de l’Union, est comme une préfiguration de l’Europe à plusieurs vitesses que ces dirigeants appellent désormais de leurs vœux.
Pas de déclaration commune
« L’unité n’est pas l’uniformité », a insisté le président français, qui a pris la parole en premier, évoquant notamment la nécessité de « coopérations différenciées pour que quelques pays puissent ensemble aller plus vite, plus loin » sur la défense, l’intégration de la zone euro, l’harmonisation fiscale, « sans que d’autres soient écartés mais sans que d’autres puissent s’y opposer ».
Les propos ont été coordonnés, mais il n’y a pas eu de déclaration commune. Les quatre dirigeants européens ont voulu avant tout éviter de paraître comme « un directoire » imposant aux autres Etats membres un fait accompli. Au-delà des différences de ton et de style, ces propos liminaires, avant le dîner de travail, n’en exprimaient pas moins une commune réponse face à la crise européenne.
Le premier ministre espagnol Mariano Rajoy, la chancelière allemande Angela Merkel, le président français François Hollande et le président du Conseil italien Paolo Gentiloni, dans la Galerie des glaces du château de Versailles, lundi 6 mars. | MARTIN BUREAU / AFP
« Il faut continuer à aller de l’avant car si nous nous arrêtons tout ce que nous avons construit jusqu’ici pourrait s’effondrer », a renchéri Angela Merkel, insistant elle aussi sur la nécessité « d’accepter que des pays aillent de l’avant et puissent avancer plus rapidement que d’autres », même si ces coopérations différenciées « doivent rester ouvertes à tous ceux qui le souhaitent ».
Longtemps réticente, l’Allemagne s’y est résignée et, déjà début février à Malte, la chancelière avait reconnu « qu’il y aura[it] une Union européenne à différentes vitesses ». Pour Paris comme pour Berlin, il s’agit du scénario privilégié parmi les cinq possibles futurs de l’Union esquissés par le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, dans son Livre blanc, allant du simple marché unique à une intégration renforcée.
Priorité à la défense
L’Italie, tout comme les pays du Benelux, se sont ralliés à cette idée face à la montée des partis antieuropéens. Le président du Conseil italien a appelé de ses vœux « une Union plus intégrée qui permette différents niveaux d’intégration en fonction des ambitions différentes ». Le premier ministre espagnol est resté un peu plus flou en appelant à « davantage d’intégration pour que l’Europe regarde vers des horizons plus lointains » avec tous ceux qui le souhaitent.
La défense sera l’un des domaines privilégiés de ces « coopérations différenciées » et les quatre dirigeants réunis à Versailles en ont tous souligné l’urgence. L’élection de Donald Trump, qui a multiplié les déclarations de défiance à l’égard de l’Union comme de l’Organisation du traité de l’Atlantique nord, et les menaces de la Russie ont créé une nouvelle donne stratégique.
La France est en première ligne parce qu’elle est la seule désormais, avec le départ programmé du Royaume-Uni, à posséder l’arme nucléaire et surtout à disposer de véritables capacités de projection. « L’Europe aurait pu commencer par là, c’est la France qui ne l’a pas voulu au début des années 1950. Aujourd’hui, l’Europe peut se relancer par la défense », a rappelé François Hollande dans un entretien publié lundi 6 mars dans Le Monde et cinq autres quotidiens européens.
Versailles, où fut signé le traité mettant fin à la première guerre mondiale et créant les conditions pour la seconde, est l’un des lieux-clés de l’histoire tourmentée du XXe siècle. Ce mini-sommet voulait symboliser l’engagement de ces quatre dirigeants pour une relance de l’Europe. Ils sont pourtant eux-mêmes bien fragiles. François Hollande est sur le départ. Angela Merkel n’est pas sûre de l’emporter aux élections de septembre. Paolo Gentiloni risque de ne pas réussir à se maintenir au pouvoir jusqu’à la fin de la législature en février 2018. Et l’Espagnol Mariano Rajoy, le leader de la droite populaire, n’a une majorité que grâce à l’appui extérieur des socialistes.