Martin Winckler, romancier, essayiste, traducteur et médecin francais. | Baltel/SIPA

Au moment de se lancer dans des études supérieures, l’auteur de La Maladie de Sachs (P.O.L, 1998) a longtemps hésité entre journalisme et médecine. Et si son père l’a contraint à embrasser comme lui la carrière de docteur, il a su devenir au fil des romans un chroniqueur avisé du milieu médical mais aussi des séries télévisées et de la société américaine. Exilé au Canada depuis 2009, il y a écrit trois polars « hospitaliers » et a publié, en octobre 2016, Les Brutes en blanc (Flammarion), un brûlot dans lequel il dénonce la maltraitance médicale.

Quelle époque auriez-vous aimé connaître ?

Alger, novembre 1942, au ­moment du débarquement des Alliés en Algérie. Mon père et mes deux oncles ont participé à cet événement et n’en ont jamais parlé. C’est à la fois ­historique et, sur un plan personnel, familial, complètement mystérieux.

Une image de notre époque ?

Le World Trade Center en flammes. J’écrivais Légendes en feuilleton quotidien. Pendant quarante-huit heures, je n’ai rien pu faire. Et puis mon éditeur, Paul Otchakovsky-Laurens, m’a dit : « S’arrêter de travailler, c’est céder et donner raison à la terreur. » Depuis, je ne cède plus à la terreur.

Un son de notre époque ?

Le générique de la série Law & Order (New York District). De 1990 à 2010, elle a produit 450 épisodes qui constituent une chronique politique, judiciaire, sociale, culturelle et aussi militaire de l’Amérique.

Un film de notre époque ?

Interstellar, de Christopher ­Nolan. Une célébration de ­la recherche et de la curiosité, mais aussi de l’amour comme moteur du dépassement de soi. L’idée que ceux qui viendront demain nous aideront à dépasser nos difficultés d’aujourd’hui est bouleversante.

Une expression agaçante de notre époque ?

« Engouement ». Mot fourre-tout que beaucoup trop de journalistes utilisent pour ­parler de l’intérêt du « public » (autre mot fourre-tout) pour une chose ou une autre. Son emploi suggère qu’il s’agit d’un enthousiasme de courte durée, superficiel, injustifié. Je trouve ça paternaliste et méprisant.

Un personnage ?

Barack Obama. Je ne sais pas de quoi l’avenir est fait, mais je suis heureux d’avoir assisté à l’élection d’un homme noir à la Maison Blanche. Et quoi qu’on ait à lui reprocher, son successeur risque bien de montrer qu’il a été l’un des meilleurs présidents que les Etats-Unis aient connus.

Un bienfait de notre époque ?

Internet. Avant sa généralisation, le savoir était concentré et ­confisqué. A présent, il circule bien plus librement. ­Ça irrite beaucoup de gens – surtout ceux pour qui la ­confiscation du savoir était ­garante de leur autorité et de leur statut – et cette ­irritation montre à quel point ce médium d’échange est aussi révolutionnaire que le furent l’écriture puis l’imprimerie.

Le mal de l’époque ?

L’industrie pharmaceutique et son contrôle du marché de la santé. C’est le capitalisme dans ce qu’il a de plus abject : on vend des médicaments inutiles aux [pays] riches tandis que les [pays] pauvres crèvent de maladies curables – ou dont les premiers ne souffrent pas.

C’était mieux avant, quand…

Je ne crois pas que c’était « mieux avant ». Je n’ai pas de nostalgie pour les époques où on mourait de famine ou de dysenterie, où les femmes mouraient en couches, où tous les hommes pouvaient servir de chair à canon.

Ce sera mieux demain, quand…

Je ne sais pas. J’essaie de contribuer à ce que ce soit moins ­difficile aujourd’hui. Notre vie est courte. S’il y a quelque chose à faire, c’est ici et maintenant.