Dix-huit prévenus, membres ou sympathisants du groupuscule néo-nazi WWK, comparaissent depuis lundi devant le tribunal correctionnel d’Amiens. | FRANCOIS LO PRESTI / AFP

De quoi le groupuscule d’extrême droite « White Wolves Klan » (WWK) est-il le nom ? Au deuxième jour du procès des dix-huit membres des « Loups blancs », le tribunal d’Amiens s’est penché sur ce groupe revendiqué comme néonazi, dont le « vernis idéologique » masque mal la motivation profonde. Celle d’un mouvement de « criminalité organisée où l’intellect laisse place à la crapulerie violente », a résumé à la barre Vincent O., enquêteur présenté comme le spécialiste de l’ultra-droite au sein de la gendarmerie nationale.

S’il n’est pas question de nier les motivations racistes, voire néonazies, de certains membres du groupe, leurs témoignages à la barre mettent en lumière la recherche désespérée d’une figure tutélaire par des individus généralement marginalisés de la société.

A la barre, mardi 28 mars, les prévenus se succèdent et se ressemblent. C’est d’abord leur uniformité vestimentaire qui surprend : des baskets à grosses semelles aux pieds, des crânes rasés, parfois de longues barbes et toujours de nombreux tatouages (têtes de mort, toiles d’araignée). Les récits pour expliquer leur adhésion à des mouvements d’extrême droite livrent, eux, d’une même voix, des histoires de ruptures.

Désœuvrement

Pour tous, c’est à l’adolescence que se noue leur rapprochement avec la mouvance d’extrême droite. Après une enfance relativement calme, Kevin Pate déménage et devient la cible « de violences au collège », confie à la barre le jeune homme de 27 ans au physique râblé. Une humiliation qui lui donne soif de vengeance. Les mouvements d’extrême droite, nombreux dans sa région, apparaissent comme une réponse toute trouvée. Mathieu Dupont partage la même trajectoire, mais le prévenu est plus loquace :

« J’ai vécu en ZUP (Zone urbaine prioritaire), j’étais le petit blond aux yeux bleus, je me faisais taper. Alors j’ai trouvé refuge avec ces gens-là. »

D’autres prévenus racontent une adolescence passée loin de leurs parents, soit parce qu’ils ont été mis à la porte, soit parce qu’ils l’ont pris, fuyant l’alcoolisme et les violences. La présidente évoque notamment le « manque affectif durant l’enfance » dont souffre Christopher Letrou, 23 ans, l’un des plus jeunes prévenus. « Ma mère m’a mis dehors. C’est mon grand-père qui m’a appris mes origines, qui m’a dit qui était mon père », détaille le jeune homme aux cheveux gominés et à l’allure élancée.

« Un grand-père qui était au FN », précise-t-il à un avocat de la défense qui le questionne sur le sujet. Jérémie Crauser a lui aussi été élevé par son grand-père, « un légionnaire frontiste ». Si la rupture familiale est physique, elle n’est visiblement pas politique. Pis, cette accointance avec la mouvance nationaliste apparaît comme naturelle, disjointe de toute réflexion personnelle.

Sans avoir été mis dehors par leurs parents, d’autres prévenus connaissent la vie de la rue, comme Eric Queulin, 43 ans, qui a côtoyé les milieux punk après avoir perdu son travail, ou Renaud Macczak, héroïnomane durant sa vingtaine.

Seconde famille

Dans ce contexte, le fait d’intégrer des mouvements d’ultradroite apparaît comme un besoin de donner un cadre à une vie dissolue. Tous les prévenus décrivent le WWK comme un « refuge », une « seconde famille ». Pour intégrer le clan, ils sont donc prêts à faire preuve d’une « obéissance démesurée » et d’une « soumission servile ». C’est justement l’un des fondements du projet de Jérémy Mourain, un ancien leader des Jeunesses nationalistes révolutionnaires (JNR) en Picardie, le service d’ordre de Troisième Voie. Ces deux groupes identitaires ont été dissous en juillet 2013 après la mort du militant d’extrême gauche Clément Méric en juin 2013 à Paris, suite à une rixe dans laquelle étaient impliqués certains de leurs membres.

Sur les cendres des JNR, le jeune homme créé le WWK, dont la lettre « K » est une référence sans équivoque à la langue allemande. « La filiation avec Troisième Voie est évidente, il s’agit des mêmes membres, des mêmes règles et du même culte du chef », résume le commandant de la gendarmerie nationale, qui précise que contrairement au groupe fondé par Serge Ayoub, le WWK verse dans le néonazisme.

Surtout, à la différence de Troisième Voie, le WWK est un « groupe de combat dont la vacuité intellectuelle n’incite qu’à la violence », résume Vincent O. Pas de tractage, ni de manifestation, mais des vols, des violences gratuites et des lynchages entre 2012 et 2014 contre les groupes rivaux, les personnes d’origine étrangère et même les membres du groupe réfractaires.

Les nouveaux arrivés dans le clan, qui s’inspire de la série Sons of anarchy, doivent subir un ensemble de rites initiatiques, comme la scarification d’une croix sur la main gauche. « Les plus jeunes, on faisait les larbins, on servait les autres. On n’avait pas le droit de vote, on n’assistait pas aux réunions », rapporte Christopher Letrou, en référence au « simulacre de démocratie » initié par Jérémy Mourain, qui organisait des votes pour décider des actions punitives, vols et autres délits.

« Se battre entre nous »

« Il fallait se battre entre nous pour faire nos preuves et Mourain décidait quand ça s’arrêtait », fait savoir Kevin Paté, rappelant que les membres du clan étaient souvent lourdement armés : chaîne de moto, poing américain, batte de base-ball, couteau. A la barre, les prévenus montrent leurs balafres, infligées par d’autres membres du clan sur ordre, toujours, de Jérémy Mourain. « J’ai été frappé par un autre avec une batte de base-ball parce que je voulais rentrer plus tôt d’une soirée », fait savoir Jérémie Crauser, grand roux à la carrure massive, un temps vice-président du groupe, avant d’être « rétrogradé ».

Car le WWK fonctionne sur une hiérarchie bien établie, avec un président, un vice-président, des sergents d’armes et des prospects. Certains titres honorifiques sont également attribués au bon vouloir du leader, comme celui de « street fighters » (pour ceux qui allaient les premiers aux combats) ou de « old school » (pour les anciens). Un folklore agrémenté par une liste interminable de surnoms.

« Popeye », « Zbig », « Papillon » confient aujourd’hui à la barre que cette « pseudo-famille » était en réalité un cauchemar. « Alors pourquoi rester ? », interroge à plusieurs reprises la présidente. « La peur », résument les prévenus d’une même voix, tous marqués par un lynchage contre l’un des leurs auquel ils ont participé en 2014, à Valenciennes.

Si bien que, quand les policiers sont venus chercher Mathieu Dupont dans le cadre de cette affaire, le jeune homme confie avoir ressenti « un réel soulagement » :

« J’allais enfin être libéré et m’expliquer sur la chose qui me pesait le plus au monde. »

Mercredi, le tribunal doit analyser la personnalité de Jérémy Mourain, alias “Capone”, pour comprendre comment le jeune homme a pu exercer un tel pouvoir de soumission auprès des autres membres du clan, pour qui toute sortie du groupe semblait impossible.