Editorial du « Monde ». C’était au lendemain du 21 avril 2002. Une éternité ! Des foules de jeunes, très jeunes souvent, avaient déferlé dans les rues de France et de Navarre pour protester contre la qualification de Jean-Marie Le Pen au second tour de l’élection présidentielle.

Autre éternité : le 6 mai 2007, près des deux tiers des électeurs âgés de 18 ans à 24 ans avaient voté pour la candidate socialiste, Ségolène Royal. Et chacun se souvient de cet engagement solennel de François Hollande, le 22 janvier 2012, au Bourget : « Notre jeunesse est sacrifiée, abandonnée, reléguée. Je ne veux être jugé que sur un seul objectif : au terme du mandat qui me sera confié, est-ce que les jeunes vivront mieux en 2017 qu’en 2012 ? »

Cinq ans plus tard, c’est peu de dire que les jeunes ont fait leur deuil de cette « promesse républicaine » du candidat Hollande. Ils sont aussi nombreux que leurs aînés à porter un jugement des plus sévères sur le bilan du président sortant. A peine plus de la moitié d’entre eux semblent, à ce jour, désireux de participer au scrutin présidentiel, contre les deux tiers des 35-64 ans et les trois quarts des plus de 65 ans. Enfin, la candidate du Front national, Marine Le Pen, recueille actuellement de l’ordre de 30 % des intentions de vote des plus jeunes électeurs, soit 5 points de plus que la moyenne nationale.

Non pas que rien n’ait été fait durant le mandat qui s’achève. Quelque 325 000 jeunes ont profité des emplois d’avenir et 100 000 de la garantie jeunes, désormais généralisée et destinée à favoriser leur insertion sociale et professionnelle. Plus de 500 000 ont touché la prime d’activité à laquelle ils sont désormais éligibles. De même, 300 000 bénéficient de la garantie locative destinée à les aider à se loger tout en protégeant les propriétaires contre les risques d’impayés…

Mais ces efforts n’ont pas fait reculer le taux de chômage, de l’ordre de 23 %, des 18-24 ans qui cherchent un emploi. Ils n’ont pas davantage effacé quelques épisodes qui ont nourri la défiance ou la révolte des plus jeunes, comme l’« affaire » Leonarda, à l’automne 2013, ou la loi El Khomri, au printemps 2016.

Défiance à l’égard des gouvernants

Dès lors, il n’est guère surprenant que les jeunes – aussi bien les étudiants, plus exigeants, que les décrocheurs, plus désespérés – aient les comportements que l’on observe dans l’ensemble de la population mais de façon amplifiée. Leur défiance à l’égard des responsables politiques est plus massive encore que chez leurs aînés : ils les accusent d’être corrompus et de ne pas tenir leurs promesses.

Cette défiance à l’égard des gouvernants et des institutions fragilise tous les mécanismes de la représentation démocratique : non seulement ils sont plus nombreux à bouder les urnes (70 % aux européennes de 2014…), mais ils jugent volontiers que l’abstention ou le vote blanc sont des modes d’expression électorale légitimes.

Enfin, la majorité d’entre eux ne font confiance ni à la gauche ni à la droite pour gouverner. Par rejet d’une société où ils ne trouvent pas leur place ou qu’ils récusent, comme l’a démontré le phénomène Nuit debout il y a quelques mois, ils vont chercher des réponses du côté des candidats antisystème, qu’il s’agisse de ceux du Front national, depuis une décennie déjà, ou depuis peu du candidat de La France insoumise, Jean-Luc Mélenchon. Comme un miroir grossissant, et tout autant inquiétant, des impatiences, des frustrations et des colères qui enfièvrent la société française.