En 2017, occuper les réseaux sociaux fait partie de la « stratégie numérique » des candidats depuis un moment. On s’est longuement arrêté sur la conversion de Jean-Luc Mélenchon, le candidat de La France insoumise, à Youtube. On a parlé aussi de l’arrivée de Florian Philippot sur Youtube, et de ses appels du pied appuyés aux internautes des forums de Jeuxvideo.com.

Dans la semaine précédant le premier tour, c’est Snapchat, application et réseau social surtout populaire chez les jeunes, qui a fait une entrée remarquée dans le jeu. Les utilisateurs de Snapchat ont pu voir chaque jour, entre deux messages éphémères envoyés, une interview de quatre candidats au premier tour : François Fillon, Benoit Hamon, Marine Le Pen et Emmanuel Macron.

Ces sessions de questions-réponses (on dit « Q & A » dans la langue de Shakespeare et de la Silicon Valley) avaient la particularité d’être organisées directement par des équipes françaises de Snapchat. Reprenant le format « stories » de l’application, dans lequel des séquences vidéos d’une durée de 10 secondes maximum s’enchaînent les unes après les autres, les interviews ont mis en scène chaque candidat face aux questions de jeunes utilisateurs de l’application.

Côté léger, voire surréaliste

Ces stories de candidats à la présidentielle ont frappé par le côté léger, voire surréaliste. Les candidats ont répondu certes à des questions sérieuses, sur la Syrie, le logement étudiant ou le revenu universel. Mais on ne peut s’empêcher de ressentir aussi une forme de malaise devant les moments les plus décalés des séquences.

Sur la séquence de Marine Le Pen, on a pu par exemple voir la candidate chanter Dalida ou montrer un tableau « offert par une artiste russe » qui offre « sa vision du nouveau monde ». Un tableau représentant Vladimir Poutine, Marine Le Pen et Donald Trump.

Marine LE PEN chante sur SNAPCHAT et répond aux questions avec humour (19/04)
Durée : 03:43

Sur la story d’Emmanuel Macron, le candidat, sommé de montrer son « filtre » Snapchat préféré, offre son visage grimaçant. Il conseille à un étudiant amoureux de sa prof de « foncer », « si c’est réciproque ».

Emmanuel Macron FAQ Snapchat
Durée : 03:36

Sur Twitter, les réactions sont mitigées : certains apprécient de voir un portrait plus léger, accessible, des candidats à la présidentielle. D’autres dénoncent une séquence évidente de « drague » de l’électorat jeune.

Car en définitive, retient-on vraiment les réponses argumentées aux questions sérieuses ? Cela dépend également des choix communicationnels des équipes des candidats. Dans le cas des équipes d’En marche !, par exemple, ce n’est manifestement pas la réponse sur le logement étudiant qui prime, mais plutôt le « bottle flip », un des « challenges » célèbres d’Internet, auquel une jeune femme a défié le candidat.

Et pour beaucoup d’observateurs, c’est davantage l’utilisation de Snapchat (et de ses options de filtres à selfie) qui a retenu l’attention que le fond des réponses.

Sans Jean-Luc Mélenchon

De nombreux politiques ont été « convertis » à l’usage de Snapchat depuis plusieurs mois déjà. Avant la campagne, François Hollande s’y était essayé, de même que Nicolas Sarkozy. L’un et l’autre s’étaient enlisés dans une communication classique, relevait alors notre confrère de Slate Vincent Manilève, et peinaient à adopter les codes forcément différents de cette application qui mise sur la rapidité, l’interactivité et l’humour.

Des tentatives pour toucher un électorat jeune qui s’exprimera dans les urnes pour la première fois. Ces jeunes qui sont à la fois les plus concernés par l’élection et souvent les plus éloignés des circuits médiatiques traditionnels.

Mais les formats de Snapchat ne sont pas forcément les plus simples à appréhender. Invité, Jean-Luc Mélenchon n’a pas participé à cette opération. Contactées par Le Monde, ses équipes n’ont pas donné suite pour préciser les raisons de leur refus. Celui-ci pouvait apparaître comme surprenant alors que le candidat de La France insoumise est celui qui a le plus misé sur une stratégie numérique destinée à toucher les plus jeunes, avec un succès pour sa chaîne Youtube et une solide base de soutiens parmi les internautes, dont certains, réunis sur une plate-forme privée, lui ont même créé un jeu vidéo, Fiscal Kombat.

A la différence d’une vidéo classique, Snapchat ne permet pas de délivrer un point de vue développé sur un sujet. C’est plutôt l’interactivité qui est visée, et sur des questions plus faciles à résumer que celles traitées en vidéo.

Snapchat à la frontière du journalisme

Pour mettre en place cette opération, Snapchat a fait apparaître un « filtre » spécifique pour les usagers d’une centaine d’écoles et universités réparties dans toute la France, leur proposant de poser des questions. Une équipe chargée des contenus chez Snapchat les a ensuite sélectionnées pour les présenter aux candidats dans leurs QG de campagne.

La démarche pourrait donc relever du journalisme (la plupart des membres de l’équipe « contenus » de Snapchat sont d’anciens journalistes), puisqu’il s’agit d’interviews avec des questions ciblées. Les stories sont publiées dans la partie Discover de l’application, où figurent des éditions spéciales de médias, dont celle du Monde, ce qui accentue le sentiment que ces séquences se placent dans un registre « journalistique ».

Mais les interviews réalisées par Snapchat ressemblent surtout à une opération de communication bien huilée, offrant à la fois de la visibilité aux candidats, mais aussi, à Snapchat, qui arrive à faire utiliser son application et ses filtres à des candidats à l’élection au centre de l’attention.

On peut noter, également, que les questions sélectionnées par Snapchat ne sont pas agressives ou de nature à fâcher l’interviewé. Pour le Q & A de François Filllon, candidat Les Républicains mis en examen dans une affaire d’emplois fictifs, une seule étudiante demande, non sans ironie, à François Fillon, s’il peut l’embaucher comme attachée parlementaire. Le candidat Les Républicains répond, sobrement, « d’envoyer son CV ».