Tom Enders, le PDG d’Airbus Group au Salon de l’aéronautique de Berlin, le 1er juin 2016. | WOLFGANG KUMM / dpa Picture-Alliance/AFP

Le parquet financier de Vienne a confirmé, mercredi 26 avril, au Monde l’ouverture d’une enquête visant notamment Tom Enders, le PDG d’Airbus. Selon l’agence Reuters, la justice autrichienne soupçonne l’homme d’affaires allemand d’être impliqué dans des fraudes et corruptions présumées, entourant la vente de dix-huit avions de combat Eurofighter à l’Autriche, en 2003.

Vienne réclame 1,1 milliard d’euros de dédommagement

A l’époque, ce contrat militaire avait été conclu entre EADS d’une part, dont M. Enders dirigeait alors la division défense, et le gouvernement autrichien de coalition réunissant les conservateurs chrétiens (ÖVP) et l’extrême droite (FPÖ), d’autre part. Il portait sur deux milliards d’euros. EADS est devenu Airbus Group en janvier 2014. L’Eurofighter Typhoon est le premier programme d’équipement militaire en Europe. Il génère 100 000 emplois selon Airbus, visé par d’autres enquêtes sur le continent.

« Si elle n’avait pas été trompée, l’Autriche ne se serait jamais décidée à acheter ces appareils », selon Hans Peter Doskozil, le ministre de la défense.

Les investigations actuellement en cours sont la conséquence d’une plainte, déposée le 16 février dernier, par le ministère autrichien de la défense, désormais dirigé par le social-démocrate (SPÖ) Hans Peter Doskozil. Le gouvernement poursuit Airbus pour escroquerie, et réclame jusqu’à 1,1 milliard d’euros de dédommagement. « Si elle n’avait pas été trompée, l’Autriche ne se serait jamais décidée à acheter ces appareils » concurrents du Rafale, affirme l’actuel titulaire du portefeuille, dont le parti partage le pouvoir avec l’ÖVP depuis 2006.

Concrètement, les Autrichiens reprochent au vendeur la mise en place de commissions versées à des tiers et ayant artificiellement fait gonfler la note. Ils estiment également avoir été dupés sur la qualité des livraisons et leur date.

Une somme de 183,4 millions d’euros aurait été versée à des intermédiaires, au travers de marchés compensatoires, sans que ces démarches n’aient été mentionnées. L’exécutif cherche désormais à savoir qui a bénéficié de cet argent. « Ces marchés compensatoires ont été la rampe de lancement idéale pour la corruption et le blanchiment d’argent », estime le ministre.

En fait, le scandale des Eurofighter rythme la scène politique autrichienne depuis quatorze ans. Les trois formations s’étant partagé le pouvoir en Autriche depuis 2003 peuvent potentiellement être impactées par des révélations. Les sociaux-démocrates sont donc tentés, en attaquant frontalement le géant européen Airbus, de se faire passer pour de courageux chevaliers blancs. Ils espèrent sans doute que l’actualité judiciaire viendra mettre en cause la probité des formations concurrentes en vue des législatives, prévues pour 2018.

Airbus, qui dénonce une « manœuvre politique », juge que les « accusations sont totalement infondées ».

Pourtant, ils sont en position d’être également éclaboussés par ce bras de fer, car à la suite de leur retour au gouvernement, ce sont eux qui ont négocié avec EADS, en 2007, un contrat révisant le précédent à la baisse. « Or, ils savaient que beaucoup d’argent sale avait circulé grâce aux Eurofighter [entre 2003 et 2006], et ils ont placé un couvercle sur les interrogations des parlementaires », dénonce le député d’extrême droite Walter Rosenkranz, à la tête d’un groupe de travail nouvellement mis en place.

Une conviction que ne partage pas Peter Pilz, siégeant au Parlement au sein du groupe écologiste (Die Grünen), qui estime que les faits de corruption, s’ils sont prouvés, seront imputables à des personnalités proches de la droite et du FPÖ. M. Pilz a dans son viseur une cible dont l’envergure dépasse de très loin la modeste classe politique autrichienne.

S’il a accepté de coprésider une commission parlementaire, c’est parce qu’il espère mettre en lumière des pratiques commerciales pouvant avoir un écho sur tout le continent. « Je vais d’ailleurs personnellement déposer ma propre plainte, afin que les contribuables de mon pays récupèrent ce qu’ils ont indûment payé », déclare ce spécialiste des affaires de corruption.

Un immense gouffre financier

Outre les conditions de la cession des appareils, les Autrichiens estiment que les avions constituent un gouffre financier terrifiant. En 2017, leur entretien et la formation des pilotes devraient coûter 80 millions d’euros. Une somme déraisonnable, dans un petit pays neutre niché au cœur des Alpes, ami de la Russie, entouré de membres de l’OTAN et frontalier de la paisible Suisse et du Liechtenstein.

Contacté par Le Monde, le champion mondial de l’aéronautique a confirmé avoir été informé « pour la première fois », par le parquet viennois, d’une procédure en cours, le mercredi 26 avril, malgré ses « demandes après des articles parus précédemment ».

Selon le groupe, qui était en course avec l’avionneur suédois Saab et le constructeur américain Lockheed Martin, l’enquête concernerait tous les individus listés par le ministère autrichien de la défense au moment du dépôt de sa plainte. Le nom de Thomas Enders y figurait. Airbus, qui dénonce une « manœuvre politique » et regrette d’avoir été informé d’abord par la presse, juge que les « accusations sont totalement infondées ».