Jeff Bezos, le fondateur et dirigeant d’Amazon, à Seattle, le 18 juin 2014. | David Ryder / AFP

Ils sont pratiquement inconnus en France, et pourtant se joue autour d’eux une compétition féroce de la part des plus grands acteurs de la Silicon Valley. Qu’ils s’appellent Google Home ou Amazon Echo, ces appareils dirigés par la voix – qui permettent de lancer un titre musical, appeler un taxi, commander l’installation domotique de son domicile ou effectuer un achat en ligne – gagnent progressivement du terrain dans les foyers américains. L’annonce faite par Amazon, mardi 9 mai, du lancement d’une nouvelle version de son produit phare, l’Amazon Echo Show, témoigne encore une fois des ambitions de ces grandes entreprises à préempter ce marché.

Contrairement à son aîné, qui se présentait comme une enceinte de forme cylindrique, le nouveau produit d’Amazon, plus massif, est désormais doté d’un écran de 7 pouces. Ce qui lui permet d’offrir de nouvelles fonctionnalités, à commencer par la possibilité de communiquer par vidéoconférence ou de regarder des vidéos sur YouTube. Commercialisé au prix de 230 dollars – contre 150 dollars pour la version classique –, il sera disponible aux Etats-Unis à partir du 28 juin.

De nouvelles fonctions de communication

Pour beaucoup d’observateurs, les nouvelles fonctions de communication d’Amazon Echo Show sont sa principale force. Avec son service Alexa Calling (qui inclut également les communications vocales et les SMS, tous gratuits), Amazon pourrait ainsi partir à la reconquête des téléphones fixes, abandonnés par la majorité des Américains. Selon Werner Goertz du cabinet Gartner, cette solution pourrait également présenter une alternative économique pour les communications des entreprises.

Parmi les autres pistes de croissance, il envisage tous les services de santé, et notamment la surveillance des personnes âgées. Analyste chez Forrester, Thomas Husson met, lui, en avant « toutes les fonctionnalités liées à la caméra », notamment en termes de domotique, comme pour « regarder qui sonne à la porte ». Il est en outre persuadé qu’« à terme tous les produits de la gamme Echo auront probablement un écran et une caméra ». Selon des analystes du groupe Mizuho, la seule vente des dispositifs Echo pourrait rapporter 4 milliards de dollars de revenus annuels à Amazon d’ici à 2020.

Skype accessible par commande vocale

Cette annonce intervient au lendemain de la présentation par Harman Kardon, le fabricant de produits audio, d’Invoke, son enceinte embarquant Cortana, l’intelligence artificielle de Microsoft, un concurrent direct de l’Echo Show d’Amazon. Un produit qui mise sur la qualité sonore et qui s’appuie également sur l’écosystème de Microsoft : il permet par exemple d’entamer par une simple commande vocale une discussion sur Skype. Avant cela, Amazon avait lancé en avril Echo Look, un produit à destination des « fashionistas » permettant de prendre des selfies, d’obtenir des conseils vestimentaires… ou de compléter sa garde-robe en effectuant des achats sur Amazon.

Aux Etats-Unis, 5 millions de personnes devraient utiliser ce type de produits, en hausse de 129 % par rapport à 2016.

Selon les chiffres du site eMarketer, pas moins de 35 millions de personnes devraient faire l’usage de ce type de produits cette année rien qu’aux Etats-Unis, soit une progression de 129 %. Si les auteurs de cette enquête, publiée lundi 8 mai, admettent que les Echo Show et consorts n’ont pas encore accédé au statut d’objet de grande consommation, ils affirment qu’ils parviennent désormais à convaincre un public grandissant – et majoritairement jeune – à mesure que leur prix baisse et que les fonctionnalités augmentent. Premier arrivé sur ce segment, Amazon accapare à lui seul plus de 70 % du marché quand Google, qui a présenté son produit Google Home à l’automne 2016, en détient un peu moins de 24 %.

Un autre rapport, publié cette fois par le site Voicelab, qui analyse l’évolution des technologies commandées par la voix, souligne la rapidité à laquelle progresse ce marché, rappelant qu’en 2015 seulement 1,7 million de ces appareils avaient été écoulés, contre 6,5 en 2016, et possiblement 24,5 millions cette année. Une progression qui s’accompagne d’une inflation des applications disponibles. Alexa qui n’en comptait encore qu’un millier en juin 2016 en offrait sept fois plus en janvier de cette année.

L’émergence de ces assistants personnels a été rendue possible par les progrès de l’intelligence artificielle. Et en particulier la capacité qu’ont désormais les machines à comprendre la parole humaine. Que ce soit Apple avec Siri, Amazon avec Alexa, Google avec Assistant ou Microsoft avec Cortana, tous se sont lancés à l’assaut de ce qui pourrait être le principal moyen d’interaction dans le futur entre l’homme et la machine. Chez Google, on affirme ainsi qu’au moins une requête sur cinq serait déjà réalisée désormais par commande vocale sur son moteur de recherche.

« Prendre une longueur d’avance »

« D’autres acteurs vont bientôt se positionner sur le même créneau qu’Amazon », selon Werner Goertz, du cabinet Gartner.

Pour M. Goertz, cela ne fait pas de doute, « d’autres acteurs vont bientôt se positionner sur le même créneau qu’Amazon », avec des assistants dotés d’écrans, à commencer par Apple. Phil Schiller, vice-président marketing de la marque à la pomme, s’exprimant sur les produits de type Echo, estimait récemment que « si l’assistance vocale est bénéfique, cela ne signifie pas qu’on n’a jamais besoin d’écran ». Des annonces pourraient intervenir lors de la prochaine conférence d’Apple à destination des développeurs, qui doit se tenir du 5 au 9 juin à San José. Mais comme le souligne Jaimie Chung d’eMarketer, « le fait d’être le premier à proposer un écran sur ce type de produit va permettre à Amazon de prendre une longueur d’avance comme cela avait déjà été le cas avec les Echo ».

Disponible au Royaume-Uni et en Allemagne depuis l’année dernière, Echo n’est toujours pas arrivé en France. Une opportunité pour Orange qui a annoncé, le 20 avril, le lancement, en 2018, de son propre assistant virtuel, Djingo, et du terminal associé : « On ne se donne pas de canal de préférence, on sépare bien l’assistant virtuel du mode d’interaction qui pour moi doit rester très libre », explique Mari-Noëlle Jégo-Laveissière, directrice exécutive innovation, marketing et technologies de l’opérateur.

M. Husson, quant à lui, estime que l’importance que vont prendre ces assistants personnels à domicile va augmenter : « Même si c’est encore relativement tôt, ce sont de nouvelles interfaces plus humaines, et cela va redéfinir la manière dont on accède à l’information. Dans les cinq ou dix ans cela pourrait avoir le même impact que celui provoqué à l’époque par les écrans tactiles. »