« M. Macron a une position clé pour assainir les relations du prisme de la Françafrique »
« M. Macron a une position clé pour assainir les relations du prisme de la Françafrique »
Par Clément Boursin
Clément Boursin, de l’Association ACAT, espère que le président n’abandonnera pas en cours de mandat les sociétés civiles africaines et leurs aspirations à la démocratie.
Emmanuel Macron entend représenter un changement de paradigme : la France, selon lui, a davantage besoin de l’Afrique pour construire son avenir que l’inverse, ce qui est une réalité dans notre monde multipolaire. L’Afrique représente une opportunité importante en termes économiques pour la France : plus d’un milliard d’habitants et une classe moyenne consommatrice en expansion continue du fait d’une croissance économique importante depuis le début des années 2000.
Pour maintenir cette croissance, l’Afrique a besoin de stabilité politique et de paix. « Je suis très attaché à la stabilité des Etats, même quand nous sommes face à des dirigeants qui ne défendent pas nos valeurs ou peuvent être critiqués », indique Emmanuel Macron, le 5 mai, dans un entretien à Jeune Afrique. L’Afrique a besoin de respect. Emmanuel Macron indique vouloir sortir des logiques de « charité » et de « clientélisme » avec comme priorités principales, dans le respect de la souveraineté des Etats, « la sécurité et la lutte contre le terrorisme, la lutte contre le changement climatique, les droits des femmes, l’éducation, la formation, les infrastructures et le secteur privé ».
Chantage économique
Il faudra, comme Emmanuel Macron l’a déclaré le 12 avril au Monde, « que la France soit plus à l’écoute de la société civile et de la jeunesse africaines » et aux « aspirations démocratiques des citoyens d’Afrique ». Mais que fera-t-il lorsque les dictateurs africains feront du chantage économique et politique ? Quand ils taxeront la France d’ingérence dans leur souveraineté et de néocolonialisme ? Continuera-t-il à entendre les légitimes aspirations démocratiques venant d’Afrique ?
La question se pose de savoir si Emmanuel Macron pourra se défaire du système qui régit majoritairement les relations franco-africaines, fondées avant tout sur des relations interpersonnelles entre chefs d’Etat, chefs de grands groupes industriels et autres lobbyistes et conseillers. Pourra-t-il mettre en place une politique africaine cohérente sans évoquer ni résoudre le problème des dictatures encore largement présentes sur le continent ? Car ces dictateurs – du fait de leur gestion clanique et prédatrice du pouvoir – portent en eux une grande responsabilité dans le développement partiel et parcellaire de leurs pays et du continent.
Emmanuel Macron prévoit de créer un Conseil présidentiel pour l’Afrique (CPA), une structure regroupant une quinzaine de personnalités (économistes, universitaires et politiques) – moitié Africains, moitié Européens – qui travaillerait sous l’autorité de diplomates, et qui aurait pour vocation de construire la nouvelle politique africaine de la France et de faire directement des recommandations au président de la République.
Répression des mouvements de jeunes
Alors qu’Emmanuel Macron souhaite ancrer la relation de la France avec l’Afrique dans un grand partenariat avec l’Europe et une mobilisation de tous les acteurs, ni les ONG ni les mouvements citoyens de la jeunesse ne seront intégrés ou associés à une telle structure. Pourtant, ces organisations de la société civile sont les porte-voix des citoyens, le relais de centaines de milliers de personnes aussi bien en Afrique qu’en France. Comment rompre avec les pratiques anciennes de la Françafrique, si les ONG et les mouvements citoyens de la jeunesse sont indirectement exclus du premier cercle de réflexion et de proposition auprès du chef de l’Etat ?
Emmanuel Macron appartient à une génération qui n’a pas connu la colonisation. Il a d’ailleurs eu le courage de déclarer en Algérie que la colonisation avait été « un crime contre l’humanité ». Son image parle à la jeunesse africaine, qui lutte pacifiquement pour un renouvellement politique sur le continent (Burundi, Congo-Brazzaville, Cameroun, Djibouti, Gabon, République démocratique du Congo, Tchad, Togo). Les présidents à vie en Afrique francophone – pour certains octogénaires ou descendants directs de présidents morts au pouvoir – font l’objet de vives contestations d’une part importante de la société et plus particulièrement des mouvements citoyens de la jeunesse.
Ces jeunesses africaines, engagées, sont interconnectées les unes aux autres sur les réseaux sociaux et leurs actions demeurent guidées par l’intérêt général. Ces militants d’un nouveau genre font peur aux régimes des autocrates qui, comme d’habitude, usent de la matraque. Mais plus ces jeunes sont réprimés, plus leurs poids politique et médiatique grandissent. Car quoi que fassent les dictateurs africains, le changement générationnel est en marche.
Emmanuel Macron devra rester ferme et comme il le déclare lui-même le 12 avril dans Le Monde : « Nous devons être prêts à reconsidérer notre soutien direct aux gouvernements qui bafouent les droits les plus fondamentaux. »
Immigration et terrorisme
Concernant l’immigration, Emmanuel Macron indique vouloir travailler en amont « contre les causes des migrations, en aidant les pays d’origine des migrants à offrir à leurs habitants un avenir sur place ». Se pose de nouveau la question des Etats totalitaires ou des régimes répressifs qui poussent une partie de leur population à fuir. C’est le cas en Erythrée, en Ethiopie ou au Soudan. Qu’en est-il des Etats présidés par des chefs d’Etats prédateurs et corrompus qui maintiennent leurs populations dans la pauvreté, poussant une partie de la jeunesse à fuir pour trouver une meilleure vie ailleurs ?
C’est le cas notamment au Cameroun, au Congo-Brazzaville, en République démocratique du Congo (RDC). Travailler sur les questions migratoires en amont nécessite de se pencher sur les problématiques politiques internes des Etats. Il est vain de croire qu’avec l’aide européenne au développement directement versée à des régimes prédateurs, les causes profondes de l’immigration seront résolues.
La lutte contre le terrorisme en Afrique est une priorité pour Emmanuel Macron. Elle nécessite une réponse sécuritaire à court et à long termes, une réponse pour lutter contre ses causes : « la pauvreté » et la « précarité » selon le nouveau président. Il semble oublier quatre éléments importants à respecter : la bonne gouvernance, les droits humains, l’Etat de droit et les principes démocratiques.
Une France bien silencieuse
Ces quatre éléments, s’ils sont bafoués de manière continue poussent irrémédiablement une partie de la jeunesse à se tourner vers le terrorisme comme c’est le cas au Nigeria et au Cameroun. Se pose également le problème de l’instrumentalisation de la lutte contre le terrorisme par les dictateurs africains. Le vocable « terroristes » devient de plus en plus usuel sur le continent, y compris au Congo-Brazzaville et en RDC, et des lois antiterroristes fleurissent en Afrique avec une seule véritable cible : les contestataires de ces régimes despotiques.
Face à ces dérives, la France – sous la présidence de François Hollande – est restée bien silencieuse. Elle a même largement fermé les yeux sur les exactions commises par les armées nigérianes, camerounaises et tchadiennes dans le cadre de la lutte contre Boko Haram. En sera-t-il de même sous la présidence d’Emmanuel Macron ?
Une chose est sûre. La jeunesse africaine a les cartes en main pour un véritable développement du continent en faveur des populations. Mais Emmanuel Macron aura une position clé, pendant cinq ans, pour assainir les relations passées conduites sous le prisme de la Françafrique et faire émerger une nouvelle relation entre la France et l’Afrique en n’apportant plus aucune aide aux régimes qui bafouent les droits fondamentaux.
Clément Boursin, responsable Afrique à l’Action des chrétiens pour l’abolition de la torture (ACAT).