La campagne est lancée. Dimanche 28 mai a été officiellement ouverte la campagne pour les élections générales au Kenya, prévues le 8 août : 19 millions d’électeurs sont appelés aux urnes afin de désigner leur président, leurs parlementaires, gouverneurs et représentants locaux.

L’opposant historique Raila Odinga affrontera le chef de l’Etat sortant Uhuru Kenyatta. Mais les défenseurs des droits humains sont inquiets. Deux ONG, Human Rights Watch (HRW) et ARTICLE 19, publient aujourd’hui un rapport préoccupant sur l’état de la liberté de la presse dans le pays. Au fil d’une cinquantaine pages, les deux organisations rapportent des cas gaves et nombreux d’intimidation, de harcèlement, d’agressions et de meurtres de journalistes commis au Kenya ces dernières années.

Basé à Nairobi, Otsieno Namwaya est chercheur auprès de HRW. Il pointe les menaces pesant sur les droits humains depuis 2013 et l’arrivée au pouvoir d’Uhuru Kenyatta.

Dans votre rapport, vous faites un constat très sombre de l’état de la liberté de la presse. Quels sont les résultats de votre enquête ?

Otsieno Namwaya A deux mois des élections, l’environnement est en effet extrêmement hostile pour les journalistes et les blogueurs kényans. Ceux qui enquêtent sur la lutte contre le terrorisme, la corruption ou la répartition des terres sont systématiquement menacés, qu’ils écrivent en anglais ou en kiswahili, qu’ils habitent en province ou à Nairobi.

Nous avons documenté des menaces de mort, des arrestations arbitraires et des tabassages en règle contre des journalistes, vraisemblablement ordonnés par les autorités publiques. Au moins deux ont été tués ces dernières années, tel John Kituyi, qui enquêtait sur les poursuites de la Cour pénale internationale [aujourd’hui abandonnées] à l’encontre du vice-président William Ruto. Il a été frappé par des hommes à moto, alors qu’il rentrait chez lui, à Eldoret [vallée du Rift], en 2015.

Nous avons aussi le cas d’une blogueuse anti-corruption de Nairobi, attaquée par un assaillant et qui a failli perdre son œil gauche. Ou le cas d’un reporter d’Eldoret, écrivant sur la répartition des terres : kidnappé, interrogé, menacé, drogué, il a été retrouvé inconscient à plus 40 km de chez lui deux jours plus tard.

Les responsables de ces violences sont-ils jugés et condamnés ?

Absolument pas. L’impunité est la règle. Aucun des cas mentionnés dans le rapport n’a fait l’objet d’une enquête sérieuse de la police. Les journalistes kényans renoncent aujourd’hui à écrire sur certains sujets de peur d’être pris pour cible.

Ainsi, dans le nord du Rift, un photographe, Denis Otieno, a été tué chez lui par des assaillants. Il était menacé après avoir pris des photos de policiers qui avaient tiré et tué sur un chauffeur de moto-taxi de la ville. La famille d’Otieno a porté plainte. Mais la police n’a interrogé personne et l’enquête n’a jamais vraiment débuté.

Quelle est la responsabilité du président Uhuru Kenyatta dans ces atteintes à la liberté de la presse ?

Elle est réelle, même si elle est partagée entre son gouvernement et les autorités locales. Le Kenya avait autrefois une presse relativement libre, surtout comparée aux régimes répressifs de la région comme l’Ethiopie ou le Rwanda. Mais, depuis le début du mandat de Kenyatta, le pays prend une direction très inquiétante. C’est un retour en arrière.

Le gouvernement actuel met une pression énorme sur les médias. Lorsqu’un sujet sensible sort dans la presse, celui-ci n’hésite pas à retirer des pages du journal la publicité publique afin de l’intimider. Et souvent, ça marche. L’autocensure se répand.

Plus généralement, sous le mandat de Kenyatta, la situation des droits humains s’est fortement détériorée avec des cas nombreux d’exactions de la police, d’assassinats extrajudiciaires, d’intimidation des ONG, rapportés notamment par HRW.

Pourtant, Kenyatta était l’un des invités d’honneur du G7 de Taormine, en Italie, et reçu par les leaders du monde entier comme un dirigeant respectable. Aujourd’hui, il est essentiel que les dirigeants étrangers mettent la pression sur Kenyatta afin qu’il garantisse le respect des droits de l’homme et d’élections transparentes.