A Milan, la fabrique à jeux vidéo de motos qui résiste à toutes les tempêtes
A Milan, la fabrique à jeux vidéo de motos qui résiste à toutes les tempêtes
Par William Audureau
« MXGP », « MotoGP » ou encore « Valentino Rossi : The Game »… la société italienne Milestone s’est imposée en vingt ans comme le leader mondial des simulations de deux roues.
Un des concepteurs italiens de la simulation « MotoGP » à l’œuvre. | DR Milestone
C’est peut-être une petite trace de pneu pour vous, mais c’est un nouveau tour de piste inespéré pour eux. MXGP3, jeu officiel du championnat du monde de motocross, est disponible depuis mardi 30 mai sur PC, PlayStation 4 et Xbox One. Le 15 juin, ce sera au tour de la simulation MotoGP 17, cette fois adaptée du championnat du monde de moto. Sortis à quinze jours d’écart, ces deux jeux vidéo n’ont rien de concurrent : ils ont été conçus par la même firme, l’entreprise milanaise Milestone. Spécialiste mondiale des courses virtuelles de deux-roues, elle est une miraculée d’un marché du jeu de course qui a connu une violente sortie de route au début des années 2000.
MXGP 3 Official Weather Conditions Trailer
Burnout, la série déjantée dans laquelle le joueur marquait des points en frôlant le carambolage ? Abandonnée depuis 2011. Need for Speed, la série automobile annuelle d’Electronic Arts ? En chute libre depuis des années, elle a été interrompue pour la première fois en 2013, et le studio canadien Black Box, qui a produit l’essentiel de ses épisodes, a mis la clé sous la porte. Même la saga phare de Sony, Gran Turismo, a connu des ventes décevantes en 2013 – 5 millions d’unités pour le sixième épisode, soit deux fois moins que son prédécesseur.
A l’inverse, et en dépit de moyens bien moindres, Milestone a non seulement évité la sortie de route, mais est même en pleine phase de prise de vitesse, se félicite Luisa Bixio, sa vice-présidente depuis 2012 :
« Depuis quatre ans que nous publions “MotoGP”, les chiffres sont en hausse sensible chaque année, ce qui n’est pas si évident. Le premier “MotoGP” s’est vendu autour de 400 000 unités, maintenant nous sommes plus proches de 700 000 ou 800 000 par épisode. »
Ride, sa dernière franchise en date, a même dépassé le million, et une suite vient d’être annoncée. En quatre ans, l’entreprise est passée de 7 millions à 28 millions d’euros de chiffre d’affaires.
Milestone, spécialiste mondial du jeu de moto peu médiatisé, a vu ses effectifs tripler en trois ans. | DR Milestone
46 jeux de course en vingt-trois ans
La moto, c’est précisément ce qui a sauvé l’entreprise quand le marché du jeu de course, essentiellement composé de simulations de rallyes, s’est effondré. « Mon sentiment est que Milestone est le meilleur studio pour ce qui relève des motos, où il y a peu de concurrence directe », avance Luisa Bixio. En 2016, outre MXGP 2 et Moto GP 16, elle avait également accouché de Ride, dédié aux plus prestigieuses motos routières, de Ducati 90th Anniversary, consacré à la célèbre marque italienne, et de Valentino Rossi : The Game, avec le nonuple champion du monde de MotoGP en guest star. Pas moins de quatre titres en un an, tous centrés autour d’une passion : les deux-roues, suite logique d’une histoire entièrement vouée au sport automobile.
L’entreprise, qui date de 1994 – alors baptisée Graffiti – compte plus d’une quarantaine de jeux à son actif. Tous des jeux de course, à l’exception du tout premier. « Milestone a été fondé par Antonio Farina, qui était un énorme fan de voitures, et le jeu de course était le genre le plus à la mode à l’époque », explique Luisa Bixio. En pleine explosion du genre du jeu de course en 3D au milieu des années 1990 – la période de Sega Rally, Ridge Racer et Daytona’USA, l’entreprise milanaise réussit à se faire une place avec Screamer, son propre simulateur sur PC, et convainc plusieurs grands noms de l’édition, comme Electronic Arts, Virgin ou Capcom de les éditer.
Screamer gameplay (PC Game, 1995)
Mais c’est en 2001 que Milestone connaît son succès le plus stratégique, avec SBK, son premier jeu de deux-roues. « On s’est constitué une communauté, car c’était la première simulation de superbike. Depuis, on s’est spécialisé », relate Michele Caletti, lead designer. Quant à s’essayer à d’autres genres, « bien sûr la question revient », admet Luisa Bixio. Mais Milestone a le bitume dans la peau, explique-t-elle tout sourire.
Plus grande entreprise de jeu vidéo d’Italie
Depuis, le studio milanais s’est mué en une impressionnante fabrique à l’organisation huilée et à la production élevée. Au sein de ses locaux spacieux, lumineux et modernes, 170 personnes sont aujourd’hui réparties en grappes par projet et par type de métier – programmeur, animateur ou concepteur, mais aussi responsables des licences, de la communication, ou encore du contact avec les joueurs. Elle est aujourd’hui la plus grande entreprise de jeu vidéo d’Italie, et un cas à part au sein d’une industrie sous-développée dans le pays. « Ici, il n’y a pas beaucoup de culture de la formation en jeu vidéo. Pour nous, si vous êtes passionné de jeu vidéo et de sports mécaniques, et prêts à apprendre, nous sommes ouverts », assure Michele Caletti, responsable de MXGP 3.
Au sein de Milestone, les équipes sont réparties par groupes, selon leur corps de métier ou leur jeu d’affectation. | DR Milestone
Pour concevoir ses simulations, le studio milanais fait parfois face à des difficultés insoupçonnées. Par exemple, comment modéliser en 3D plusieurs mois en amont un prototype de moto encore confidentiel ? « Parfois c’est dur, il faut l’accord de l’équipe, de la fédération, du constructeur. Ce sont des challenges dans le challenge ! » Autre défi : tenir les délais, et sortir absolument ses jeux au printemps, la saison haute pour le sport automobile.
Pour cela, l’entreprise se retrouve à sous-traiter une partie de sa production de véhicules en 3D. Si la pratique est courante dans le jeu vidéo, Milestone a des besoins spécifiques, et peine parfois à trouver des sous-traitants qualifiés. « Nous ne mettons pas en scène des dragons fantastiques, mais des motos réalistes. Nos partenaires doivent être capables de savoir placer une suspension et des freins et de les faire bouger correctement », détaille Michele Caletti.
A la conquête de l’e-sport
Année après année, pourtant, les jeux de Milestone progressent. La production de Milestone reste encore limitée par ses budgets – 3 millions d’euros pour un MotoGP, à des années-lumière des 60 millions de dollars d’un Gran Turismo 5. Mais l’entreprise a changé d’outils informatiques et renforcé ses équipes, et vise le 8/10 en moyenne dans les tests de la presse spécialisée d’ici deux ans, après avoir longtemps végété autour du 6/10.
Ce printemps, MotoGP 17 se lancera notamment dans le grand bain de l’e-sport, ces compétitions de jeu vidéo en plein essor. « On y va graduellement, reprend Michele Caletti. Il y aura des classements, des défis, on sélectionnera des vainqueurs et ils seront amenés en novembre à Valence – le même week-end que le grand prix annuel – à un vrai tournoi live, avec demi-finales et finale, retransmises sur Twitch et même à la télé dans certains pays. »
MotoGP™ 17 - Announcement Trailer
Quant au marché du quatre-roues ? Milestone ne l’a pas tout à fait abandonné. L’entreprise milanaise a publié en 2016 Sébastien Loeb Rally EVO – son retour au jeu de rallye après trois années d’interruption, et a annoncé se lancer dans une nouvelle expérience, celui du jeu de course tout terrain, avec Ravel en 2018. Elle devrait également publier son catalogue sur Switch, la dernière console de Nintendo, et annoncer prochainement encore un autre projet. Sans surprise, ce sera un jeu de course. « Nous préférons continuer dans la voie que nous connaissons le mieux, avec le genre que nous maîtrisons le mieux », explique humblement Luisa Bixio.