Muriel Pénicaud, ministre du travail, à l'Elysée, jeudi 18 mai. | JEAN-CLAUDE COUTAUSSE / FRENCH-POLITICS POUR LE MONDE

Voilà une première clarification qui est la bienvenue. Mardi 6 juin, en début d’après-midi, le chef du gouvernement, Edouard Philippe, et la ministre du travail, Muriel Pénicaud, devaient faire une « déclaration » afin de présenter « le programme de travail » remis quelques instants plus tôt aux syndicats et au patronat. Il s’agit, d’après nos informations, d’une feuille de route sur plusieurs chantiers qui seront ouverts cette année : la réécriture, partielle, du code du travail mais aussi la réforme de l’assurance-chômage et du système de formation professionnelle. La méthode et les grands objectifs devraient être précisés à cette occasion.

L’intervention de M. Philippe et de Mme Pénicaud était très attendue, en particulier à cause du trouble jeté, lundi, par les révélations du Parisien. Nos confrères ont publié un document, présenté comme un « avant-projet de loi habilitant le gouvernement à prendre, par ordonnances, des mesures pour l’emploi ». Son contenu est explosif : il préconise une « évolution radicale » de notre « modèle » en accordant « une place centrale à la négociation collective » (notamment aux accords d’entreprises) dans plusieurs domaines : les règles encadrant « la rupture du contrat à durée indéterminée », celles qui prévalent en matière de sécurité et de santé au travail… Or, plusieurs de ces idées, qui vont très loin dans la flexibilisation du marché de l’emploi, n’avaient nullement été évoquées par Emmanuel Macron durant la campagne. Reflètent-elles les intentions de l’exécutif ?

Non, a répondu, lundi, le ministère du travail, dans un communiqué : la note de dix pages sortie par Le Parisien « n’émane pas du gouvernement ». « Ce document est une fake news [fausse information]. Rien à ajouter de plus », soutient, agacée, une source gouvernementale. « Rien n’est arbitré », complète une autre source au sein de l’exécutif.

« Coup d’Etat social »

Le prétendu « avant-projet de loi » d’habilitation semble avoir été rédigé avant la prise de fonctions de MM. Macron et Philippe. Daté du 12 mai – donc à un moment où François Hollande se trouvait encore à l’Elysée –, il aurait été « commandé à un juriste extérieur » à l’équipe d’En marche !, afin de « tester la structure et l’écriture de la loi d’habilitation », confie un pilier du staff de M. Macron pendant la campagne. « Il n’a pas fait l’objet d’un arbitrage sur le fond », poursuit-il.

Reste qu’à six jours du premier tour des législatives cette publication instille le doute et fournit des arguments à la gauche pour taper sur le pouvoir en place. « C’est un coup d’Etat social sans précédent qui se prépare, a lancé Jean-Luc Mélenchon (LFI). Les Français sont maintenant prévenus : s’ils font les moutons autour du berger Macron, ils seront tondus. » Sur Twitter, Benoît Hamon (PS) a dénoncé « la grande braderie des droits des salariés ». C’est « une marche arrière toute, nous renvoyant au temps des tâcherons et des maîtres des forges », s’est indigné Olivier Dartigolles, porte-parole du PCF.

Du côté des syndicats, les réactions sont plus contrastées. « La confiance n’est pas rompue, indique Véronique Descacq, numéro 2 de la CFDT. Nous ne savons pas quelle est la nature exacte du document qui a été publié, s’il s’agit d’un document de travail ou de campagne ou autre chose. Nous serons fixés lorsque le gouvernement aura remis sa feuille de route. » Même son de cloche à FO, dont le secrétaire général, Jean-Claude Mailly, déclare : « Nous ne préjugeons pas de la position du gouvernement. »

Climat de défiance

Le président de la CFE-CGC, François Hommeril, se montre un peu plus agacé : « Ça rappelle des mauvais souvenirs », juge-t-il, en faisant allusion à un autre épisode un peu semblable : à la mi-février 2016, Le Parisien avait dévoilé une version de l’avant-projet de loi El Khomri, qui indisposait tous les syndicats, installant du même coup un climat de défiance, annonciateur de longues mobilisations contre le texte. « Rien ne change en matière de dialogue social, c’est déplorable », soupire, de son côté, Fabrice Angei, du bureau confédéral de la CGT.

L’histoire repasse-t-elle les plats ? Conseiller social de Nicolas Sarkozy lorsque celui-ci était à l’Elysée, Raymond Soubie relativise l’impact de la fuite : « C’est un texte d’origine incertaine. Je ne suis pas convaincu qu’il ait une influence sur le scrutin de dimanche, à la différence de ce qui s’était produit en 2007. » Durant l’entre-deux-tours des législatives, Jean-Louis Borloo, alors ministre des finances, avait évoqué l’hypothèse d’une TVA sociale, ce qui avait fait perdre à la droite plusieurs sièges de députés.