Dira-t-on de la crise du Kasaï qu’elle fut oubliée comme d’autres en République démocratique du Congo (RDC) ? Officiellement, ce n’est pas une guerre. Les violences armées se poursuivent néanmoins dans cette ancienne province du centre du pays, divisée en trois en 2015.

Mardi 6 juin, à l’occasion de la 35e session du Conseil des droits de l’homme des Nations unies, le haut-commissaire aux droits de l’homme, Zeid Ra’ad Hussein, a donné un ultimatum de quarante-huit heures aux autorités congolaises pour mettre en place une enquête conjointe sur les violations commises contre des civils. Une commission d’enquête a également été réclamée par 262 associations congolaises et 9 associations internationales. Le lendemain, Marie Ange Mushobekwa Likulia, la ministre congolaise des droits humains, a répondu que la RDC acceptait de collaborer avec les Nations unies, tout en ajoutant que la justice congolaise garderait la direction des enquêtes.

Incendies, pillages et exécutions

Si elle venait à voir le jour, une telle enquête aurait lieu plus de dix mois après le début des violences. Les massacres se sont multipliés dans les trois provinces (Kasaï, Kasaï-Central et Kasaï-Occidental) depuis la mort de Jean-Pierre Pandi, chef coutumier appelé « Kamwina Nsapu », tué lors d’un assaut policier en août 2016. Cet opposant déclaré au président de la République, Joseph Kabila, n’avait pas été officiellement reconnu par les autorités provinciales. Les attaques de miliciens se présentant comme des « Kamwina Nsapu », s’en prenant aux agents de l’Etat et à la population avec machettes et bâtons, ont été suivies d’une répression militaire implacable contre leurs membres et complices présumés.

Les affrontements entre les miliciens et l’armée ont été accompagnés d’incendies, de pillages et d’exécutions sommaires. Quarante-deux fosses communes ont été répertoriées par des experts des Nations unis. Les violences, auxquelles se sont greffées des tensions entre communautés locales, ont provoqué l’exode de plus d’un million d’habitants. Plusieurs centaines, si ce n’est bien plus, ont disparu, selon l’ONU.

Des chiffres difficiles à vérifier, peu d’observateurs étant actuellement capables de documenter le conflit en cours. L’insécurité de la zone, tout comme une interdiction implicite de s’y rendre empêchent humanitaires et journalistes de connaître précisément la situation, en dépit du déploiement de la Mission des Nations unies de stabilisation en RDC (Monusco) dans les Kasaï, également zone opérationnelle de l’armée congolaise.

Un épisode résonne désormais comme un symbole, une menace, voire un avertissement : l’assassinat de Zaïda Catalan et de Michael Sharp, membres du groupe d’experts des Nations unies, enlevés puis retrouvés morts en mars. Leur exécution à bout portant, filmée, a fait l’objet d’une large médiatisation par Kinshasa, qui a accusé les miliciens. Cette Suédo-Chilienne de 37 ans et cet Américain de 34 ans enquêtaient justement sur les violences du Kasaï. Nikki Haley, ambassadrice américaine auprès de l’ONU, a appelé les Nations unies à initier une enquête spéciale sur leur assassinat.

Les évêques du Kasaï, réunis à Kinshasa, ont eux aussi appelé à la création d’une commission d’enquête indépendante. Pour l’instant dans le vide, tant l’agenda de la RDC reste suspendu à la suite incertaine du second et dernier mandat de Joseph Kabila, officiellement terminé le 19 décembre 2016.

Grand renfort de communication

En attendant, les autorités congolaises, ciblées par des sanctions économiques américaines et européennes, donnent bon gré mal gré des gages de confiance, qui ne semblent pas convaincre les Nations unies. Le 30 mai, Joseph Kabila a effectué en grande pompe sa première visite officielle à Kananga, capitale de la province du Kasaï-Central. Un déplacement à grand renfort de communication destiné à démontrer que la situation était désormais sous contrôle.

Le 5 juin, dans la même ville, a débuté le procès de deux jeunes hommes accusés du meurtre de Zaïda Catalan et Michael Sharp, suite à une enquête « menée avec pas mal de rapidité », a estimé le porte-parole des Nations unies. Cinq militaires ont également comparu devant la cour militaire du Kasaï-Occidental. Ils sont accusés d’avoir participé à un massacre dans la localité de Mwanza Lomba, médiatisé par une vidéo. La veille de la demande d’enquête des Nations unies, pour la première fois depuis bien longtemps, Joseph Kabila s’est exprimé dans les médias à travers un entretien accordé au journal allemand Der Spiegel. Aucune mention n’a été faite de la guerre sans nom des Kasaï.