Michel Ancel devant des dessins préparatifs de « Beyond Good & Evil 2 ». | William Audureau

Michel Ancel est concepteur de jeux vidéo. Lundi 12 juin, c’est l’œil rougi et humide qu’il monte sur la scène d’Ubisoft pour dévoiler la bande-annonce de Beyond Good & Evil 2, préquelle d’un jeu d’aventure extrêmement attachant de 2003, et annonce majeure du Salon du jeu vidéo de l’E3 2017. Il raconte à Pixels comment il avance sur ce projet désormais aussi célèbre que démesurément ambitieux – le joueur pourra y explorer librement une galaxie – offrant au passage une plongée précieuse dans les dessous technologiques de la création.

Beyond Good and Evil 2 – E3 2017 World Premiere Cinematic Trailer

Pourquoi avoir choisi d’annoncer l’existence de « BGE 2 » cette année ?

Michel Ancel : On ne pouvait pas avant, on va essayer de rendre tout ça très transparent. La vision du jeu est désormais très claire, on a confiance, la technologie est sécurisée, ce qui n’était pas le cas il y a un an, ce qui nous inquiétait. C’est pour cela que l’on ne communiquait pas avant. Notre monde est fait de bonds technologiques : ce qui paraissait impossible le devient.

Il y a eu de l’émotion sur scène – des larmes, même. Qu’est-ce qui est ressorti ?

C’est assez indescriptible. On avait fait des répétitions, et je ne m’y attendais pas beaucoup. Mais quand j’ai vu que les gens [dans la salle] réagissaient à la bande-annonce, quand j’ai réalisé la réalité de la chose, que c’était juste vrai, que ce jeu qui a pris tant de temps, qui a été si dur à négocier… [Il s’interrompt]. Il faut bien voir qu’on s’embarque dans un projet sans savoir s’il va aboutir, c’est une vraie aventure, un développement comme ça. A partir du moment où on décide de le montrer, c’est que l’on pense que l’on a passé une étape décisive.

Moi j’avais peur que ce projet ne puisse pas voir le jour, à un moment. J’avais peur que les ambitions soient toujours revues à la baisse, qu’on se demande : « A quoi bon le faire ? ». Mais là, c’est bon. Tout arrive, on sait que le jeu va exister. On voit les yeux du personnage dans la bande-annonce, ses yeux verts, c’était beaucoup de boulot, c’était un pic d’émotion, c’était fort. J’ai aussi trouvé qu’Yves [Guillemot, PDG d’Ubisoft] était dans la simplicité, c’est lié à ce qu’on vit en ce moment, il a une maturité, dans son rôle, dans sa société, et le moment où un jeu comme ça arrive, un jeu qui est assez étonnant par rapport à tout ce qu’on fait habituellement, c’est comme un accomplissement. Voilà, c’est une somme de petites choses, de petits détails.

A partir de quand avez-vous réalisé qu’il y avait une attente autour de ce jeu qui relevait de quelque chose d’exceptionnel, au point que sa seule existence soit un événement, comme Duke Nukem Forever et Final Fantasy XV avant ?

C’est quelque chose que l’on réalise assez tôt, parce qu’à chaque rencontre, on nous en parle, cela revient, et cela revient de plus en plus souvent. Cela s’est renforcé aussi parce que nous on veut que ce jeu existe. Cela [cette attente] a eu un impact sur nous.

Vous expliquez-vous cette attente, alors que le premier jeu n’avait pas connu le succès attendu ?

Non, j’ai du mal, parce que c’était un bon jeu, il y a des moments de magie qui nous ont surpris nous-mêmes, mais il y a aussi des imperfections sur certains éléments de gameplay qui sont évidentes. C’était notre premier jeu d’aventure chez Ubisoft, forcément il y a des choses qui n’allaient pas. Au-delà de ça, il y a des éléments qui sont propres au jeu, qui sont l’histoire, les personnages, qui nous ont touchés nous, parce qu’on ne réalise pas tout de suite, il y a le travail de Jacques Exertier, le travail des animateurs, des gars aux décors… C’est grâce à eux qu’il y a eu une petite étincelle qui est restée allumée et vivante toutes ces années.

A la présentation initiale du premier BGE, la présentation était folle, et les journalistes avaient été déçus par le jeu final, qui étaient moins ambitieux. N’est-ce pas ce qui menace également BGE2, pour lequel vous annoncez un projet démesurément ambitieux ?

On fait tout pour ne pas que cela se reproduise. On sécurise d’abord la technologie. C’est très difficile pour les équipes de s’empêcher d’avancer sur les éléments que l’on maîtrise pour se concentrer sur les éléments que l’on ne maîtrise pas. Pendant deux ans, l’équipe ne sait pas quel jeu on fait. Mais il faut d’abord sécuriser la technologie, ce qui est essentiel dans ce genre de jeu. Maintenant, on sait que l’on peut poser du level design dans des vaisseaux, dans des intérieurs, des événements dynamiques sur des planètes, etc. Pour tout ça, il fallait cocher les cases. On n’avance pas comme ça d’habitude.

Comment vous fixez-vous des deadlines, avec un tel projet ?

C’est le travail de Guillaume, notre producteur, qui a des méthodes très simples : il donne des deadlines à trois semaines, avec des éléments à très long terme, comme la création des planètes sur six mois, mais pas grand chose d’intermédiaire. Cela demande de la précision.

Maintenant, vous avez une vision claire du projet final ?

Tout à fait. On peut répondre à n’importe quelle question, dire « l’histoire est comme ça »…

Mais le planning n’est pas déterminé ?

Pas encore, car il reste une dernière phase qui va durer entre six et huit mois, qui consiste à aborder avec une précision manichéenne tout ce qu’il reste à faire – mais qui sont des choses que l’on sait faire à Ubisoft, comme par exemple le trafic dans la ville ou la constitution des intérieurs. Maintenant on va l’intégrer dans des gameplay plus « micro ». A partir de là on aura la « vertical slice » [un aperçu du jeu en mouvement], qui ira de l’enquête dans un bar à l’exploration dans l’espace.

Vous passez à un schéma inédit de développement, en faisant participer des fans. Vous n’avez pas peur que cela amène du chaos à un développement déjà bien compliqué ?

Non, car on sait désormais exactement où l’on va. Les questions d’architecture générale sont déjà réglées, en revanche il reste des microquestions, des décisions à prendre, sur lesquelles il est intéressant d’avoir des retours. Comme il s’agit en plus d’un jeu qui est inspiré de la Terre et de ses cultures, il n’y a rien de mieux que d’échanger avec des Chinois pour parler de la Chine ou avec des Indiens pour l’Inde. On a envie d’échanger beaucoup autour de ça.

Justement, la place de la religion, le financement privé de l’innovation, le transhumanisme, ce sont des thèmes qui viennent d’où ?

Ils étaient sous-jacents dans BGE1. On avait peu travaillé les fondations du monde, maintenant on les ancre dans notre monde à nous. Comme cela se passe dans longtemps cela nous donne un peu de liberté, et on a estimé qu’il y avait eu un clash avec les intelligences artificielles et les robots, et qu’il y avait eu un retour à la biologie. On revient à un futur un peu steampunk, et les hybrides font partie de ça.