Emmanuel Macron doit désormais reconstruire la confiance
Emmanuel Macron doit désormais reconstruire la confiance
Par Jérôme Fenoglio (Directeur du "Monde")
Editorial. Les législatives le démontrent, ni le président ni ses candidats n’ont pour l’instant commencé à retisser le lien permettant d’obtenir une adhésion, au-delà du cercle des enthousiastes.
Emmanuel Macron, au Touquet (Pas-de-Calais), le 18 juin. | CHRISTOPHE ARCHAMBAULT / AFP
Editorial du « Monde ». Bien plus normale en tout cas que la majorité hypertrophiée, proche des 450 députés, qui était promise par les sondages à LRM au lendemain du premier tour de ces législatives.
Pour le président de la République, une fois que les candidats battus auront été consolés, nul doute que cette rectification sera finalement une bonne nouvelle. Un groupe parlementaire pléthorique s’annonçait comme une anomalie qui semblait prendre au dépourvu jusqu’aux responsables de LRM. Certains en avaient été réduits à produire quelques élucubrations pour justifier cette disproportion, comme cette conception « inclusive » d’un groupe hégémonique qui assurerait à la fois le rôle de majorité et d’opposition. Il ne sera heureusement pas nécessaire d’en arriver à cette mise en scène. Car l’opposition, même affaiblie, sera bel et bien présente à l’Assemblée nationale.
Au soir du premier tour, le flot LRM menaçait d’engloutir jusqu’aux fiefs historiques des partis traditionnels. Fortement érodés au PS, qui sort en ruine de ses années Hollande, ils ont mieux tenu à droite. La martingale inventée par Emmanuel Macron – prendre des voix de gauche pour battre la droite, et inversement – n’a pas fonctionné partout avec le même succès.
Tant et si bien que le groupe central – pour la première fois aussi puissant dans l’histoire de la Ve République – sera entouré de… groupes parlementaires qui tiendront tous leur rôle, sans pour autant pouvoir bloquer la progression des textes de loi.
Dans cette opposition siégeront nombre de têtes d’affiche, dont les deux tribuns des principaux partis protestataires, Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon. Pour les députés novices de la majorité présidentielle, cette présence dans l’Hémicycle, renforcée par quelques figures hautes en couleur, promet un baptême du feu des plus vifs.
L’abstention massive n’est pas saine
Mais là encore, pour le gouvernement, cette situation recèle plus d’avantages que d’inconvénients. L’opposition sera visible et audible au Palais-Bourbon. Le risque que la contestation n’ait la rue pour seul cadre est amoindri, à défaut d’être annihilé. Surtout, le succès relatif de La France insoumise et l’échec limité du Front national privent ces deux partis du procès en illégitimité qu’ils avaient commencé à instruire contre la majorité présidentielle. Car, en bonne logique, comment se féliciter de ses succès et, dans le même temps, ne pas accorder la même valeur à ceux que les adversaires ont obtenus en se pliant aux mêmes règles d’un processus démocratique commun ?
De fait, n’en déplaise à Jean-Luc Mélenchon, le niveau d’abstention historique atteint lors de ce second tour – près de six inscrits sur dix n’ont pas voté dimanche – n’est une bonne nouvelle pour personne. Chaque parti en a souffert, certes inégalement, LRM compris, comme si les déserteurs des urnes ne distinguaient pas si nettement l’ancien du nouveau. Comme s’ils utilisaient cet absentéisme électoral comme un ultime levier sur le cours des choses, corrigeant l’effet créé par l’abstention au premier tour par un refus de voter encore supérieur au second, cette fois au détriment de candidats macronistes.
La situation mise en lumière par cette abstention massive n’est pas saine. Aucune démocratie ne peut tolérer longtemps de voir des classes sociales, en l’occurrence les plus populaires, et des tranches d’âge, principalement les plus jeunes, osciller ainsi entre brefs sursauts de vote protestataire et longues périodes d’abstention. Aucun système politique ne peut s’accommoder de la dévitalisation progressive, par absence de participation, d’échéances électorales aussi majeures que des législatives. La lassitude au bout d’une longue année de campagne ne peut tout expliquer.
Au cours de ces élections de juin, le socle électoral s’est fortement rétréci. Seuls, ou presque, les convaincus, derniers défenseurs des partis classiques ou nouveaux convertis à l’élan déclenché par Emmanuel Macron, se sont déplacés. Face à ces citoyens politiquement actifs, de larges pans des électeurs inscrits ont préféré demeurer passifs et, au mieux, laisser le chef de l’Etat confirmer sa victoire de la présidentielle en ne faisant rien pour s’y opposer. Comme si la crainte d’être une nouvelle fois déçu ou trompé empêchait de s’engager plus avant.
Ce comportement renvoie à la plus grande des crises que devront résoudre le président, son gouvernement et ses députés : celle qui altère, toujours plus profondément, la relation de confiance entre les citoyens et le personnel politique. Tout au long de sa stupéfiante trajectoire vers l’Elysée, Emmanuel Macron a su profiter de la défiance à l’encontre des structures en place. Mais, ces législatives le démontrent, ni lui ni ses candidats n’ont encore commencé à reconstruire cette confiance permettant d’obtenir une adhésion, au-delà du cercle des enthousiastes.
Deux chantiers majeurs
Dotés des principaux pouvoirs de la Ve République, le président et sa majorité ont désormais toutes les cartes en main pour travailler à restaurer ce lien. Ils peuvent y parvenir en s’attaquant à deux chantiers majeurs. D’abord institutionnel : l’Assemblée nationale qui vient d’être élue est largement renouvelée, rajeunie et nettement féminisée. C’est une excellente nouvelle. A ces nouveaux visages doivent correspondre des nouvelles pratiques qui raffermissent les relations avec la société, qui respectent davantage opposition et contre-pouvoirs, incluant la liberté d’informer. De ce point de vue, les premiers actes et les premières paroles de ministres du gouvernement sont loin d’avoir été rassurants.
Ensuite éthique : au-delà de la nécessaire loi de moralisation de la vie publique, chaque élu doit être convaincu, comme chaque chef d’entreprise, que personne ne peut profiter de sa fonction pour s’assurer des passe-droits ou des avantages personnels ou familiaux. Ce sont les entorses à ces principes élémentaires, qu’ils soient ou non passibles de poursuites judiciaires, qui minent la crédibilité des dirigeants depuis tant d’années. Il n’est pas trop tard pour comprendre que la réussite de ce quinquennat sera également mesurée à l’aune du comportement de chacun.