Dans les Vosges, en janvier. | SEBASTIEN BOZON / AFP

Couvrant 17 millions d’hectares, soit 30 % du territoire métropolitain, la forêt française tient une place centrale dans la lutte contre le réchauffement. Elle stocke en effet dans les arbres, le bois mort et les sols, environ 80 millions de tonnes de dioxyde de carbone par an, près d’un cinquième des émissions nationales de gaz à effet de serre.

Or, « le rôle de la filière forêt-bois dans l’atténuation du changement climatique devrait s’accentuer d’ici à 2050 ». C’est ce que conclut une étude intitulée Freins et leviers forestiers à l’horizon 2050, menée par l’Institut national de la recherche agronomique (INRA) et l’Institut national de l’information géographique et forestière (IGN), et rendue publique mardi 27 juin.

Ses auteurs ont cherché à déterminer quel type de gestion forestière serait, à moyen terme, le plus bénéfique pour le climat en dehors de toute autre considération. Le bilan carbone de la forêt se calcule en effet en fonction de deux facteurs. D’un côté, le volume de CO2 séquestré dans les espaces boisés, qui s’accroît lorsque ceux-ci sont peu exploités. De l’autre, la quantité de dioxyde de carbone dont le rejet dans l’atmosphère est évité par l’usage du bois en substitution de combustibles ou de matériaux plus « polluants » – pour la construction, l’énergie, etc. – , qui augmente, elle, quand les forêts sont exploitées de façon intensive. Deux stratégies qui permettent l’une et l’autre de combattre le réchauffement, mais qui s’opposent et entre lesquelles il convient donc de trouver le meilleur équilibre.

130 millions de tonnes de CO2 par an

L’équipe scientifique, forte d’une vingtaine de membres, a comparé plusieurs scénarios de sylviculture. Avec une gestion peu intensive, où la récolte annuelle de bois reste à son niveau actuel de 50 millions de m3 par an, les prélèvements ne représentent qu’un peu plus du tiers de la croissance naturelle de la forêt et le volume annuel de CO2 stocké sur pied grimpe à 130 millions de tonnes en 2050. En revanche, avec une exploitation beaucoup plus soutenue, où le prélèvement atteint 70 % de la croissance du couvert végétal, le puits forestier de CO2 chute à 60 millions de tonnes par an.

Mais la trajectoire est inverse pour les émissions évitées grâce à un recours accru, dans la seconde hypohèse, à du bois de chauffage ou de construction, en remplacement d’énergies et de matériaux plus pénalisants pour l’environnement.

Couper peu ou beaucoup de bois dans les massifs français est-il alors neutre pour le climat ? Non, répondent les chercheurs, qui introduisent un paramètre supplémentaire : l’effet du réchauffement en cours sur la santé des forêts. Pour l’apprécier, ils ont retenu la projection la plus alarmante du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), dans laquelle les émissions mondiales de gaz à effet de serre se poursuivent à leur rythme actuel, pour conduire à une montée planétaire moyenne des températures de 3,7 °C à la fin du siècle.

« Dans ce cas et quel que soit le scénario de gestion envisagé, la capacité de l’écosystème forestier français à stocker du carbone se trouverait fortement réduite », constatent les chercheurs, après avoir fait tourner un modèle d’interactions entre le sol, les plantes et l’atmosphère. Cela, en raison de sécheresses sévères et récurrentes, mettant à mal les peuplements de feuillus comme de résineux. Cette surchauffe aurait un impact « de bien moindre ampleur » sur les émissions de CO2 évitées grâce à l’usage du bois et c’est cette composante qui primerait alors.

Pour le coordinateur de l’étude, Jean-François Dhôte, directeur de recherche à l’INRA (unité amélioration, génétique et physiologie forestières), l’avantage revient ainsi à une valorisation intensive de la ressource sylvestre. « L’accumulation de carbone dans les forêts est réversible, explique-t-il. Elle peut être affectée par le changement climatique ou par des aléas tels que tempêtes, incendies ou invasions biologiques. A l’inverse, les émissions de CO2 évitées par l’utilisation du bois comme énergie ou comme matériau sont irréversibles. »

Les auteurs précisent toutefois que « si les projections avaient été effectuées à un horizon plus lointain (2100 ou au-delà), les conclusions auraient pu être différentes ». Car le cycle de vie des forêts métropolitaines, où dominent les feuillus, se mesure à l’échelle du siècle et non de la décennie.

La France veut augmenter d’un tiers sa récolte

Commandée par l’ex-ministère de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt, devenu celui de l’agriculture et de l’alimentation, cette étude donnera en tout cas du grain à moudre aux débats en cours, au sein de l’Union européenne, sur la comptabilisation du carbone du secteur forestier.

Bruxelles pousse en effet une proposition de règlement selon laquelle, sur la période 2020-2030 et dans chaque Etat membre, la gestion des forêts ne devra pas réduire sa fonction de puits de carbone, par rapport aux années 1990-2009. Or, la France vient de se doter d’un nouveau Programme national de la forêt et du bois, qui prévoit d’augmenter d’un tiers sa récolte durant la décennie à venir. Sous le précédent gouvernement, elle a tenté d’obtenir de la Commission européenne, pour ne pas être pénalisée, le droit de calculer son bilan carbone forestier sur cette nouvelle base et non sur celle du passé.

Aux yeux des ONG environnementales, mais aussi de certains scientifiques, cela reviendrait « à masquer les émissions réelles de CO2 ». Les associations pressent donc le nouveau ministre de la transition écologique et solidaire, Nicolas Hulot, dont la position n’est pas encore arrêtée, de sortir du bois et de montrer que la France se veut « exemplaire » sur le front du climat.