Cobra, Ken le survivant, Lupin III, Signé Cat’s Eyes, Violence Jack… nombre de personnages cultes de l’animation des années 1980 ont pris vie sous les mains ou la direction de Takuya Wada. Entré au culot dans les studios, il s’est imposé très jeune comme un animateur et un character designer (designer de personnages) de talent. Il est l’invité de la Japan Expo 2017, qui jusqu’à dimanche 9 juillet célèbre les cent ans de l’animation japonaise.

Vous êtes entré très jeune dans le monde de l’animation. Comment y êtes-vous parvenu ?

Quand j’avais 15-16 ans, j’adorais regarder des films et des séries d’animation et ce monde m’attirait. A l’époque, il n’y avait pas Internet, alors j’attendais la fin des génériques pour regarder les noms des entreprises qui travaillaient sur les films. Ensuite, j’allais chercher les contacts dans l’annuaire. J’ai appelé le studio Tokyo Movie, devenu aujourd’hui TMS Entertainment, pour leur demander comment on réalisait des dessins animés et ils m’ont invité à venir visiter. Et j’ai fini par y revenir tous les soirs, une fois les cours terminés, en costume de lycéen, pour apprendre. Et j’y restais jusqu’au dernier train. J’ai eu de la chance, car mes professeurs étaient Hayao Miyazaki, Yasuo Otsuka, Akio Sugino et d’autres grands noms.

CAT'S EYE - Blu-ray - TRAILER

Vous avez connu, en trente ans de carrière, de grandes évolutions techniques dans l’animation. Quel changement vous a le plus marqué ?

Quand j’ai commencé dans les années 1970-1980, on faisait absolument tout à la main. J’ai passé quinze ans à travailler ainsi avant d’aller à Hollywood pour apprendre des techniques d’effets spéciaux et de maquillage. Et quand je suis revenu au Japon deux ans plus tard, tout était passé au numérique ! Là où on colorisait les films avec de la peinture, il suffisait d’utiliser le logiciel de retouche Photoshop. Avant, on filmait tout plan par plan, et puis il fallait développer. Maintenant, on a des logiciels. L’abandon de l’analogique nous a fait gagner beaucoup de temps sur le séchage des planches ou le développement des films.

Etes-vous nostalgique de cette période ?

[Il prend un temps pour réfléchir.] Beaucoup disent que pour faire un dessin animé aujourd’hui, on n’a plus besoin de la main de l’homme parce que l’on peut tout faire sur ordinateur. A mon avis ce sera encore faux pendant longtemps. Car, ne serait-ce que pour insuffler un style au dessin, façonner les personnages, donner à un dessin animé son pur style japonais, il y aura toujours besoin de la patte humaine. L’ordinateur ne peut pas le déterminer seul.

Space Adventure Cobra - Trailer HD - Bluray

Au-delà de la technique, comment a évolué le registre de l’animation japonaise ?

Quand j’ai commencé, il y avait énormément de genres différents de dessins animés : des histoires sportives, des programmes pour filles, pour enfants… c’était très varié. Et ce sont des dessins animés qui ont compté pour les spectateurs, il n’y a qu’à voir le public de la Japan Expo. Les dessins animés de cette époque, surtout ceux de sport, apprenaient des valeurs de persévérance, d’efforts, d’amitié forte pour conduire au succès. C’était donc très pédagogique.

Avec le passage au numérique, j’ai ressenti une certaine froideur technique, mais aussi dans la variété des registres. Il y a moins de valeurs de persévérance et d’éducation dans les œuvres. On est inondés de dessins animés pour garçons avec des filles mignonnes. Quand je rencontre des fans d’animation japonaise, beaucoup me demandent : « Pourquoi le dessin animé est devenu ainsi, moins varié, moins profond ? » Je partage leur avis.

Mais cela ne vient pas forcément que du passage au numérique…

Ce sont des remarques que l’on peut faire sur la société actuelle. Quand on la compare avec celle des années 1980, de la fin de l’ère Showa [du nom de l’empereur qui régna sur le Japon entre 1926 et 1989, Hirohito en Occident], on remarque qu’en 2017, il y a de moins en moins de communication directe entre les hommes. Tout se passe par SMS. Les liens sont devenus très fades.

Il y a désormais beaucoup de concurrence de la part de studios européens et américains en matière d’animation. Selon vous, le Japon saura-t-il rester à la pointe ?

Les dessins animés japonais ne sont pas faits avec les mêmes techniques ni la même philosophie. On dit aujourd’hui qu’ils sont numéro un dans le monde et les Américains nous observent. Mais pour eux, le dessin animé est juste destiné aux enfants. Il suffit de constater qu’aux Etats-Unis les dessins animés sont diffusés entre 9 heures et 10 heures du matin. Et le plus gros des dessins animés là-bas est fait par Disney et Pixar, avec des techniques de 3D.

Au Japon au contraire, comme les animés sont inspirés de mangas, et que les mangas s’adressent à différents publics, notamment aux adultes, l’animé offre du choix à un large public. C’est ce qui fait qu’on a des œuvres qui ont des styles totalement différents comme Anpanman pour les enfants ou Ken le survivant, sur lequel j’ai travaillé, destiné aux grands. Si le Japon continue de penser aux adultes et tente de maintenir une certaine variété, il conservera sa différence.