Regain du lobby des armes aux Etats Unis
Regain du lobby des armes aux Etats Unis
Par Béatrice Sclapari
Un mois après l’attaque au cours de laquelle un représentant républicain a été blessé, les projets de loi libéralisant le port d’armes restent populaires.
Des partisans des armes à feu, le 14 juillet à Fairfax, en Virginie. | ALEX WONG / AFP
C’est une vieille antienne aux Etats-Unis : les législateurs républicains défendent, sans relâche, le 2e amendement autorisant le port d’armes, en dépit de la multiplication des fusillades meurtrières. Depuis l’arrivée, en janvier, de Donald Trump à la Maison Blanche et d’une majorité républicaine au Congrès, pas moins de cinq projets de loi visant à alléger le contrôle des armes à feu ont été déposés. L’attaque du 14 juin près du Capitole à Washington, dans laquelle James Hodgkinson, un partisan de Bernie Sanders – l’ex-candidat à la primaire démocrate en 2016 – a gravement blessé le numéro trois de la Chambre des représentants, le républicain Steve Scalise, a même renforcé dans ses convictions le camp pro-armes à feu.
Le FBI a indiqué, le 21 juin, que M. Hodgkinson avait obtenu de manière parfaitement légale, en Illinois, sa carabine semi-automatique, ainsi qu’une arme de poing et son permis de port d’arme. Cela n’a pas découragé les élus favorables au lobby des armes à feu. Ainsi, Richard Hudson, représentant républicain de Caroline du Nord, a déposé un texte qui permettrait de porter des armes presque sans aucune restriction, pourvu qu’elles soient dissimulées, et ce dans tout le pays – alors que les permis ne sont, aujourd’hui, en général valables que dans l’Etat qui les a délivrés. Aucune dérogation ne serait prévue pour les établissements scolaires.
« Le poing fermé de la vérité »
Un autre texte permettrait de reconnaître dans le District de Columbia – où se situe la capitale fédérale – les ports d’armes obtenus ailleurs dans le pays, ce qui faciliterait la détention d’armes à feu par de nombreux responsables politiques à Washington. Un dernier projet de loi éliminerait les contrôles fédéraux sur les silencieux. Certaines de ces législations sont à l’étude depuis plusieurs mois, et même plusieurs années, mais leur processus d’adoption a très vite progressé depuis la fusillade dont le représentant Steve Scalise a été victime. Les partisans des armes à feu estiment en effet que seul le fait d’être armé permet de se protéger contre les criminels.
Grâce au financement politique de la puissante National Rifle Association (NRA), le lobby des armes à feu, presque toutes les législations restreignant le port des armes ont été bloquées ces dernières décennies. Même après le massacre de Sandy Hook en 2012, où 28 personnes, dont 20 enfants, ont été tuées dans une école primaire du Connecticut, il a davantage été question d’autoriser les armes dans les écoles que de limiter leur circulation.
Dans une vidéo diffusée début juin, Dana Loesch, porte-parole de la NRA, estime que « la seule façon (…) de sauver notre pays et notre liberté, c’est de combattre cette violence de mensonges [des partisans d’une réglementation des armes] avec le poing fermé de la vérité ».
Clivage ethnique
Avec 5 millions de membres et une armée de donateurs, la NRA représente une force politique et financière extrêmement puissante. En 2014, 30 000 personnes lui ont fait un don, inférieur à 200 dollars dans 90 % des cas, selon CNN Money – avec un don moyen d’environ 35 dollars (30 euros). En 2016, la NRA a dépensé à peine 265 dollars en faveur de responsables politiques démocrates, et 37 millions pour les combattre, selon le site OpenSecrets. A l’inverse, elle a dépensé 17 millions pour les républicains, et 2 281 dollars contre eux.
Treize des trente-cinq lobbyistes de la NRA occupent des postes au sein du gouvernement fédéral. Selon le New York Times, qui compile les évaluations attribuées par la NRA aux responsables politiques américains, Steve Scalise est noté « A + » et Richard Hudson « A » – sur une échelle allant de A à F.
La popularité des armes à feu transcende les clivages partisans et ne montre aucun signe d’affaiblissement. Les opposants ne sont pas assez nombreux pour faire entendre leurs arguments face aux partisans du 2e amendement. Le Pew Research Center relève que plus de deux tiers des adultes américains ont vécu avec des armes à feu dans leur maison au cours de leur vie. Aujourd’hui, trois adultes sur dix admettent qu’ils en possèdent une, et parmi eux 73 % disent qu’ils ne pourraient pas imaginer de pas être armés.
Parmi les Blancs, 48 % des hommes et 24 % des femmes indiquent posséder des armes, contre 24 % des hommes et 16 % des femmes issues des minorités. Des experts estiment que les chiffres réels sont plus élevés que ce que rapportent ces sondages.
Paranoïa
« Les journalistes et les chercheurs se concentrent fortement, voire excessivement, sur la violence liée aux armes à feu, ce qui empêche de saisir à quel point le port légal des armes est de plus en plus considéré comme la norme », note David Yamane, professeur de sociologie à l’université de Wake Forest (Caroline du Nord). Selon lui, les responsables politiques et les lobbyistes sont partie intégrante de cette culture des armes, et leurs actions reflètent l’opinion publique davantage qu’elles l’orientent.
L’origine de cette culture est encore discutée. Selon l’historienne Carole Emberton, le débat sur le contrôle des armes à feu n’est pas directement lié à la guerre d’Indépendance (1775-1783), contrairement à une idée reçue selon laquelle ce sont les armes à feu qui ont permis aux Etats-Unis de s’affranchir de la Couronne britannique. Son origine, selon elle, se trouve plutôt après la guerre de Sécession (1861-1865), en raison de la paranoïa courante chez les Blancs ayant perdu leurs esclaves et leur domination politique.
« Après cette guerre a eu lieu une période d’émancipation, au cours de laquelle s’est posée la question de savoir quels droits auraient les Africains-Américains accédant à la citoyenneté, et notamment s’ils pourraient être armés, en tant que soldats ou que simples individus, explique Mme Emberton. La question raciale est toujours très présente dans le débat. Les Blancs ne disent plus ouvertement que les Noirs ne devraient pas être autorisés à être armés car ils seraient trop dangereux, trop susceptibles de devenir des criminels ; mais ils restent silencieux lorsque des Noirs innocents sont tués par la police. »