Au Rwanda, des poches de sang livrées par drones
Au Rwanda, des poches de sang livrées par drones
Par Pierre Lepidi (envoyé spécial à Gitarama, Rwanda)
Depuis octobre 2016, des aéronefs survolent le pays pour parachuter des lots de sang au-dessus des hôpitaux qui ont passé commande. Le gain de temps est considérable.
Il y a urgence. « Hello. Nous avons besoin de deux poches de sang O + adulte. Notre stock est à zéro. Vous pouvez nous livrer rapidement ? » Envoyé par SMS, le message provient de l’hôpital de Gakoma, un bourg situé dans le sud du Rwanda, à quelques hectomètres de la frontière avec le Burundi. Immédiatement, la réponse fuse de la base de drones située dans les faubourgs de Gitarama, distante d’une cinquantaine de kilomètres à vol d’oiseau : « OK. On prépare la commande et on vous informe quand les poches seront livrées. » Au pays des Mille Collines, il faudrait compter près de trois heures par la route pour effectuer cette livraison. Par la voie des airs, l’opération ne prendra qu’une trentaine de minutes.
Depuis octobre 2016, des lots de sang sont livrés dans huit hôpitaux (21 devraient être desservis avant la fin 2017) du sud et de l’ouest du Rwanda grâce à des drones. C’est la première fois au monde que ce type d’appareils est ainsi utilisé dans le milieu médical. « Le sang est quelque chose de très précieux », explique Maggie Jim, chef d’équipe de la société Zipline, une start-up californienne à l’origine du projet : « Les appareils [appelés zip] sont plus rapides et plus sûrs que les transports par la route. Il y a un gain de temps et donc d’efficacité considérable. » On compte aujourd’hui une dizaine de décollages quotidiens.
Un concentré de technologies
A l’intérieur d’une pièce hermétique de la base, des réfrigérateurs contiennent des lots de sang de tous les groupes existants. Une fois la commande enregistrée, les poches correspondantes sont installées délicatement dans une boîte en carton équipée d’un parachute en papier kraft puis logées dans le ventre de l’appareil. L’aéronef, qui pèse 13 kg et peut emporter une livraison de 1,5 kg, est ensuite placé sur une rampe de lancement, semblable à une catapulte. Face au vent pour améliorer sa portance, le drone décolle à 20 m/s (environ 72 km/h) après avoir reçu une autorisation de l’aéroport de Kigali. « 3, 2, 1… lancement ! » Il disparaît alors en bourdonnant dans le ciel.
Décollage Drone
Durée : 00:20
Les treize appareils que compte actuellement la base sont un concentré de technologies. A une altitude d’environ 100 m, ils volent à une vitesse de croisière de 90 km/h et se déplacent grâce à un GPS et des batteries au lithium qui leur donnent une autonomie de 150 km. S’il perçoit un problème, le drone retourne de lui-même à la base. L’intégralité de son parcours est suivie sur des cartes électroniques par les développeurs de Zipline.
Une fois arrivé sur la zone de largage, l’aéronef va descendre à une dizaine de mètres du sol, effectuer un cercle en calculant, en fonction du vent, le meilleur instant pour ouvrir sa soute et larguer les poches de sang, dont l’atterrissage sera amorti par le parachute. « Tous les vols sont analysés et disséqués par ordinateur, explique Arthur Draber, ingénieur chez Zipline. Nos largages ont beaucoup gagné en précision. En octobre, les poches arrivaient dans un rayon prévisible de 5 mètres. Aujourd’hui, on définit la précision à seulement 3 mètres ! »
Le drone ne se pose pas au centre médical. Après le largage, il revient à la base, où il sera récupéré grâce à un filin tendu à quelques mètres du sol et qu’il va « attraper » avant de tomber sur un épais matelas pour amortir sa chute. « Le zip peut voler quasiment par tous les temps, explique Maggie Jim. Pour plus de sécurité, les systèmes de guidage par GPS et d’alimentation du moteur sont doublés. »
La révolution des drones en Afrique
Durée : 01:40
Bientôt des médicaments ?
Ce projet de livraison des poches de sang par drones est mené en collaboration avec les autorités rwandaises, et notamment le ministère de la santé, qui sous-traite les livraisons à Zipline. Gavi (l’Alliance du vaccin) et la Fondation UPS font également partie de ce partenariat.
« Le sang arrive dans de très bonnes conditions », se félicite Pascal Ngiruwonsanga, médecin à l’hôpital de Nyanza, situé à une trentaine de kilomètres de la base : « Avant, il fallait compter deux heures avant de récupérer les poches. Aujourd’hui, c’est quasiment en un quart d’heure et cela nous aide beaucoup. J’espère qu’un jour les drones pourront aussi apporter des médicaments. » Le projet serait à l’étude, mais la société Zipline préfère rester discrète sur le sujet.
Les drones livreurs de sang pourraient prochainement survoler le Costa Rica ou la Tanzanie. Ce qui est certain, c’est que Zipline devrait ouvrir début 2018 une nouvelle base, appelée Nest 2 (« nid », en anglais), pour desservir une vingtaine d’hôpitaux situés cette fois dans l’est du Rwanda. « Ce pays est vraiment ouvert aux nouvelles technologies, explique Arthur Draber. Le projet de drones a été accueilli ici à bras ouverts. »