Coupe du monde féminine de rugby : l’entraînement, encore une affaire d’hommes
Coupe du monde féminine de rugby : l’entraînement, encore une affaire d’hommes
Par Adrien Pécout
Seule l’une des douze équipes en lice lors de ce Mondial 2017, la sélection de Hongkong, a une femme au poste d’entraîneur principal.
Comme dix autres pays participant à la Coupe du monde féminine de rubgy (sur douze), la France de Romane Ménager est entraînée par des hommes. / PAUL FAITH / AFP
Il en va du rugby comme d’autres sports collectifs : la huitième édition de la Coupe du monde féminine reste encore l’affaire d’entraîneurs masculins. Et l’équipe de France ne fait pas exception. Sous les ordres du duo Samuel Cherouk-Olivier Lièvremont, les rugbywomen françaises ont écrasé l’Australie (48-0), dimanche 13 août, lors de leur deuxième match du Mondial, après une première victoire probante contre le Japon (72-14).
Parmi les douze sélections nationales en lice, une seule a nommé une femme au poste d’entraîneur principal. Jo Hull entraîne l’équipe de Hongkong, dont les débuts se sont soldés par deux cinglantes défaites face au Canada (98-0) et à la Nouvelle-Zélande (122-0). Le constat est aussi frappant en championnat de France : la saison écoulée, tous les clubs du top 8 s’entraînaient avec un homme à leur tête.
Dans les rangs de l’équipe de France, certaines joueuses concèdent ne pas vraiment avoir réfléchi à la question. Tentative de réponse de la troisième-ligne Manon André : « Le rugby féminin a mis du temps à se développer, il est encore assez récent. » Sous-entendu : le développement de la pratique passe d’abord par l’augmentation du nombre de joueuses plutôt que d’entraîneures. L’arrière Amédée Montserrat évoque un « sport assez masculin où beaucoup d’hommes s’orientent vers l’entraînement », là où les femmes n’y songeraient pas.
Annick Hayraud sait de quoi elle parle. L’actuelle manageure du XV de France a entraîné pendant une décennie l’ASM Romagnat, club de première division féminine où elle conserve toujours un rôle de dirigeante : « Au départ, il y a une vingtaine d’années, quand j’ai commencé ma formation d’entraîneure, il n’y avait que des mecs. Et, franchement, ce n’était pas évident de se retrouver là. Les filles n’étaient pas trop prises au sérieux. Et je pense qu’il y a des joueuses que cette situation a tout simplement refroidies. »
« Retrouver ce goût de la compétition »
La dirigeante auvergnate se souvient d’une pédagogie à revoir et d’un diplôme focalisé sur la pratique des rugbymen :
« On ne parlait que du rugby des garçons, on avait les carcans du rugby masculin, alors qu’il y a pourtant des différences. Au rugby féminin, on n’a pas le même jeu au pied, on n’a pas tout à fait le même placement parce qu’il y a une puissance moins importante. »
En janvier 2017, Annick Hayraud a pris une décision commentée, l’une des premières sous la nouvelle présidence de Bernard Laporte à la tête de la « fédé » : remplacer le précédent sélectionneur du XV de France féminin, Jean-Michel Gonzalez, dont le projet de jeu lui semblait insuffisant. Elle a donc nommé à sa place deux autres hommes : Samuel Cherouk, qu’elle avait connu en Auvergne comme entraîneur des Espoirs de l’ASM Clermont-Auvergne, et Olivier Lièvremont, ex-entraîneur de l’équipe de France masculine des moins de 16 ans, et accessoirement cousin de Marc, l’ancien sélectionneur des Bleus.
Deux hommes qui n’ont jamais entraîné d’équipe professionnelle masculine, mais qui disposaient du meilleur C.V., selon Annick Hayraud : « Je n’avais pas envie de mettre une femme spécialement pour dire : “J’ai mis une femme à ce poste.” Quand j’y réfléchis, je ne sais pas quelles femmes auraient eu l’expérience du haut niveau pour prendre l’équipe de France féminine à ce moment-là. » Pour sévère qu’il soit, ce constat ne doit pourtant pas faire oublier que des femmes ont déjà exercé à ce niveau de responsabilité, et avec succès. Ainsi de Nathalie Amiel. L’ancienne joueuse a atteint à deux reprises les demi-finales de la Coupe du monde en tant qu’entraîneure principale des Bleues, en 2010, puis en 2014, lors du Mondial en France.
Avec l’augmentation significative des joueuses (19 000 licenciées en France pour l’année 2017, soit 8 000 de plus qu’en 2014), une nouvelle génération d’entraîneures serait à attendre : « Ça viendra avec le temps, avec l’expérience », pronostique Amédée Montserrat, qui ne se destine pas à cette reconversion. Manon André, elle, a prévu de passer son diplôme d’entraîneure dès la saison prochaine. « J’ai énormément appris de choses à travers ma pratique de joueuse que j’aimerais pouvoir transmettre aux joueuses. Et j’espère pouvoir retrouver comme entraîneure ce goût de la compétition, du défi, du résultat. »
« Eh, on n’est pas des gars ! »
La joueuse de Blagnac-Saint-Orens bachotera avec une coéquipière au centre de ressources, d’expertise et de performance sportive (CREPS) de Toulouse. Pendant ses heures libres, la rugbywoman au statut amateur prendra aussi en main dès la saison prochaine l’équipe des cadettes de son club. « Très sincèrement, j’ai envie de me faire la main sur un public que je connais, mais j’aimerais bien avoir l’occasion d’entraîner des équipes masculines, j’aimerais bien découvrir avec quels leviers, quelles motivations les faire réagir », ajoute-t-elle. A l’instar de Corine Diacre en football, qui entraîne depuis 2014 les footballeurs de Clermont (Ligue 2), cas de figure inédit sur les pelouses françaises.
Femmes ou hommes, quelle importance ? La jeune Amédée Montserrat explique qu’elle attache surtout de la valeur « aux compétences » de la femme ou l’homme qu’il entraîne, bien davantage qu’à des questions de genre. Selon la Montpelliéraine, pas vraiment de différence entre un entraîneur ou une entraîneure. Si ce n’est, parfois, une question d’« habitude à prendre » : « De temps à temps, un entraîneur habitué à avoir des garçons peut nous dire par réflexe : “Bon, allez les gars, venez au milieu du terrain !” Alors, on lui répond tout de suite : “Eh, on n’est pas des gars.” »
Au-delà du domaine sportif, la question a surtout son importance en termes de représentativité. « La joueuse de rugby est encore une exception aujourd’hui en France et dans beaucoup de pays dans le monde. Le fait de voir des femmes sur le terrain, mais aussi en dehors, montre que c’est pourtant de l’ordre du possible », souligne la sociologue Hélène Joncheray, qui a étudié l’équipe de France féminine en 2014 et travaille désormais à l’Institut national, du sport, de l’expertise et de la performance (INSEP).
La sociologue rappelle que le rugby, comme tant d’autres sports, reste surtout régi (et pratiqué) par « des hommes » : seulement 8 femmes sur 38 au comité directeur de la Fédération française de rugby, chiffre cependant en progrès. Et de conclure sur une anecdote : « Quand j’étais étudiante, j’entraînais des équipes de jeunes garçons dans le XVe arrondissement de Paris. Un dirigeant m’a dit : “Dommage, parce qu’au début les parents ont eu peur que vous soyez incompétente, finalement, ils se sont rendu compte que ça se passait très bien.” » Preuve qu’il faut « faire changer les mentalités », selon le mot d’Annick Hayraud, aussi bien au haut niveau qu’à la base.