TER et couloirs de bus : les projets pour désengorger Dakar
TER et couloirs de bus : les projets pour désengorger Dakar
Par Aurélie Darbouret et Isabelle Mayault (contributrices Le Monde Afrique, Dakar)
L’Afrique en villes (24). La capitale sénégalaise, qui se veut pionnière dans la région en matière de transports publics, espère coiffer au poteau sa rivale de toujours, Abidjan.
« Croyez-moi, je ferai souvent des visites de chantier sans prévenir ! », annonçait le président sénégalais, Macky Sall, lors de la pose de la première pierre du train express régional (TER) à la gare centrale de Dakar, en décembre 2016. A quelques encablures du port industriel, le bâtiment de style colonial, sauvé de justesse de la démolition, était quasiment à l’arrêt depuis la fermeture de la ligne Dakar-Bamako. Il est question que la China Railway Construction Corporation reconstruise la ligne dans les prochaines années. Mais avant cette échéance, le TER, réalisé par les français Alstom, Engie et Thales, aura vu le jour.
L’objectif ? Désengorger la capitale. Avec 3 millions d’habitants confinés sur la presqu’île du Cap-Vert et d’intenses échanges entre le centre-ville et la banlieue, la capitale sénégalaise est, comme beaucoup d’autres villes majeures en Afrique, sous la double pression de l’exode rural et de la croissance économique.
« Je donne rendez-vous aux entreprises partenaires le lundi 14 janvier 2019 pour inaugurer la ligne et faire le premier trajet Dakar-Diamniadio en TER », a ajouté le président. La promesse fait sourire quand on connaît les délais de réalisation des autres projets phares du Plan Sénégal émergent (PSE) cher à Macky Sall, comme la Cité de l’émergence, dans la ville nouvelle de Diamniadio, à 30 km de Dakar, où l’aéroport Blaise-Diagne, validé par le prédécesseur de Sall, Abdoulaye Wade, et qui n’a pas encore vu le jour. Le déménagement de l’aéroport actuel, situé dans la commune de Yoff, est prévu de longue date pour désengorger le centre-ville.
Un temps de trajet divisé par deux
Si Macky Sall est si précis, c’est parce qu’il sait que le PSE fera office de bilan lors de la prochaine échéance électorale, en 2019, à laquelle il ne fait pas mystère de vouloir participer. « Pour l’instant, on est dans les temps », répond à ceux qui s’inquiéteraient déjà Mohamed Rjiba, chargé des transports à l’antenne dakaroise de l’Agence française de développement (AFD, partenaire du Monde Afrique). Avant de poursuivre : « Ce qui compte, c’est la qualité et la pérennité des infrastructures. »
Au cœur du PSE figure « l’amélioration significative des conditions de vie des populations ». Pour les habitants du Grand Dakar, la durée moyenne d’un déplacement est aujourd’hui d’une heure et demie. Une amélioration significative passe donc avant tout par la diminution de leur temps de trajet. « Il y a dix ans, on perdait un million d’heures par jour dans les transports à Dakar », avance Serigne Lèye Thioune, le directeur des services techniques de la mairie.
Le stade Léopold-Sédar-Senghor, à Dakar, près de la route de l’aéroport. / Max Hirzel
Des progrès ont d’abord été amorcés avec l’ouverture d’une autoroute à péage, la première sur le continent après l’Afrique du Sud. Le deuxième tronçon, ouvert fin 2016 à Dakar, connaît une fréquentation supérieure de 40 % aux prévisions.
Avec le lancement à l’horizon 2019-2020 d’un TER et d’une ligne de bus à couloirs (le projet « Bus Rapid Transit », BRT), la capitale sénégalaise deviendra ainsi pionnière dans la région en matière de transports publics, coiffant au poteau la rivale de toujours, Abidjan, dont le projet de train urbain a du mal à avancer. Si tout se passe comme prévu, le temps moyen de trajet devrait être divisé par deux.
D’un montant total de plus de 800 millions d’euros, le TER sera financé par la Banque islamique de développement (300 millions), la Banque africaine de développement (180 millions), l’AFD (100 millions), le Trésor français et l’Etat sénégalais. Pour le BRT, l’Etat sénégalais doit débourser plus de 386 millions d’euros.
Assises de la mobilité urbaine
« On n’arrivera jamais à enlever complètement la voiture, quel que soit le pays. L’idée, c’est de faire un mix intelligent entre bus, ferroviaire et voiture », analyse Mohamed Rjiba en traçant sur une feuille les deux grands axes nouveaux que le TER et le BRT vont dessiner à travers Dakar. Le premier longera la côte est sur 38 km en treize stations, traversant des espaces densément peuplés depuis le centre-ville jusqu’à Rufisque puis Diamniadio. Le deuxième, à l’ouest, doit rallier les banlieues nord et couvrir en 33 stations un axe allant du centre-ville à Guédiawaye, en passant par Grand Médina.
Les deux projets devraient attirer respectivement 110 000 et 300 000 voyageurs par jour, cinq à sept ans après leur lancement, pour un coût de déplacement équivalent à ce qui se pratique aujourd’hui dans les transports publics. « Mais pour un temps deux fois inférieur ! », précise Thierno Birahim Aw, directeur général du Conseil exécutif des transports urbains de Dakar (Cetud), qui fait le lien entre l’Etat, le secteur privé et les collectivités locales. « On est dans une ville où la part des déplacements motorisés est seulement de 30 %, poursuit-il. Mais le contexte de forte croissance économique fait qu’on assiste à une progression rapide du secteur automobile. Cela rend urgent le développement des transports publics. »
Pour atteindre ces objectifs, il faudra assurer la liaison entre les nouvelles grandes artères et les lignes de rabattement. « C’est un facteur clé de la bonne fréquentation, explique Mohamed Rjiba, de l’AFD. A Paris, le RER A tire 40 % de son flux des voyageurs qui arrivent depuis des lignes secondaires. A Dakar, au lieu d’avoir des lignes de bus qui font doublon, l’idée c’est de remodeler les lignes devenues obsolètes pour faire le lien avec les artères plus petites. »
Dakar, en mai 2017. Dans la capitale sénégalaise, la part des déplacements motorisés est de 30 %. / Max Hirzel
C’est un peu contradictoire, mais pour desservir les zones les plus peuplées, des travaux qui risquent de mettre en péril certaines activités économiques sont nécessaires. « De ce point de vue, les projets de la Banque mondiale sont assez structurés, commente Thierno Birahim Aw. Pour que les indemnisations soient bien faites, les personnes affectées par le projet ont été référencées. Pour le BRT, ça représente de 1 400 à 1 500 personnes, pour moitié des petits commerçants. »
Un travail de concertation et de sensibilisation est en cours avec les communes concernées. Les premières Assises de la mobilité urbaine, organisées par le Cetud, doivent avoir lieu à la rentrée.
Le sommaire de notre série « L’Afrique en villes »
Cet été, Le Monde Afrique propose une série de reportages dans seize villes, de Kinshasa jusqu’à Tanger.